Marty, prépare la DeLorean, nous retournons dans les années 1980 ! Avec la NES Mini Classic, Nintendo réédite, samedi 12 novembre, la console star d’une génération. Trois décennies après son lancement en Europe, elle prend la formule d’un petit boîtier ultraléger, sur lequel sont préinstallés 30 jeux sortis entre 1980 et 1993. A travers ces derniers, c’est tout un pan de l’histoire du jeu vidéo qui défile à nouveau.

Si la NES sort fin 1987 en France, elle date alors en réalité de plusieurs années. Dès 1983, Nintendo conçoit en effet la Family Computer, ou Famicom, qui restera inédite sous ce nom et sous cette forme en Occident, même s’il s’agit sous le boîtier de la même console. Si seul le Japon peut goûter à la version originale de la NES à cette époque, c’est que le marché du jeu vidéo vient de s’effondrer en Amérique du Nord, premier marché mondial.

Un contexte de crise

Le secteur a connu son âge d’or au début de la décennie, essentiellement en salles d’arcade, avec notamment une année faste qui l’a vu dépasser pour la première fois le chiffre d’affaires du cinéma aux Etats-Unis en 1981. Le jeu vidéo est alors porté par le captivant Pac-Man (1980), le premier jeu de plate-forme Donkey Kong (1981) et sa suite Donkey Kong Jr (1982), ou encore le plus évolué des jeux de tir verticaux, Galaga (1982). Leur popularité est telle que Donkey Kong sert d’étalon technique pour concevoir la Famicom, qui en fera son jeu de lancement.

« Donkey Kong » (1981, Nintendo), ici dans sa version NES. | Nintendo

Mais à l’été 1982, patatras : le marché se retourne. Face aux nouvelles stars, les ordinateurs personnels, et à l’inflation des prix dans les salles, la grande distribution décrète le jeu vidéo mort pour toujours et les exploitants cessent de renouveler leurs parcs. Un jeu de boxe comme Punch-Out !! (1984), dont la machine pour bars utilisait deux écrans superposés, sert ainsi davantage à écouler les provisions de matériel qu’à reconquérir les joueurs.

En France, où le marché américain fait figure de prescripteur de tendances, la grande distribution s’aligne et ne croit plus en l’avenir du jeu vidéo, sans percevoir le potentiel d’une nouvelle console grand public, peu chère et conviviale. Au Japon, certains indicateurs sont au vert, à l’image de Mario Bros. (1983). Si les premières aventures communes de Mario et Luigi sont un échec en salles d’arcade, elles sont un succès sur Famicom, où les joueurs apprécient d’y jouer à deux.

Il faudra deux ans pour que Nintendo parvienne à convaincre les distributeurs américains de mettre sa console en rayons, sous un nouveau nom et design (celui de la « Nintendo Entertainment System », dite NES). Fin 1985, son lancement d’essai réussi à New York annonce le démarrage de sa vie commerciale en Occident.

« Ghost’n Goblin » et « Super Mario », deux jeux charnières

Les jeux d’époque sont rudimentaires, mais commencent à repousser petit à petit les limites techniques de la console, et avec elles, ouvrent de nouvelles possibilités ludiques. Des développeurs brillants comme Satoru Iwata, qui deviendra président de Nintendo, réussit à programmer un personnage qui flotte en ballon dans le mignon Balloon Fight (1984). Dans le même temps, Toshihiko Nakago, futur programmeur de Super Mario Bros., s’initie aux jeux avec défilement de l’écran – d’abord à la verticale avec le jeu d’escalade Ice Climber (1984), puis à l’horizontale avec le jeu de motocross Excitebike (1984).

Cette période d’expérimentation faste accouche le même été de deux jeux séminaux : Ghosts’n Globlins (1985) de Capcom en arcade et Super Mario Bros. (1985) sur NES de Nintendo. D’un côté une aventure arthurienne dans un monde hanté, de l’autre la traversée d’un monde loufoque à la Alice au pays des merveilles. Mais dans les deux cas, un défilement de l’écran qui donne l’impression d’être happé par des aventures imprévisibles, une succession de lieux exotiques à traverser, et surtout des héros transformistes et intenables.

« Ghosts’n Goblins » (1985, Capcom). | Capcom

L’un est un chevalier qui jette lances, flammes et boucliers, perd son armure s’il se fait toucher, ou se transforme instantanément en squelette s’il meurt. L’autre est un moustachu bedonnant qui grandit en mangeant des champignons, jette des boules de feu ou devient invincible s’il absorbe une fleur ou une étoile, et rétrécit si un ennemi le touche.

Leurs innovations sont à la fois si fortes et semblables que le concepteur de Super Mario Bros., Shigeru Miyamoto, hésitera à repousser Super Mario Bros. pour éviter d’être éclipsé par son vis-à-vis. Mais l’adaptation NES de Ghosts’n Goblins ne voyant le jour qu’en 1986, ce sont surtout les aventures de Mario, avec leurs briques remplies de bonus surprises et ses mille et un passages secrets, que l’histoire retiendra. Il s’impose peu à peu comme le fer de lance de la console, avec plus de 40 millions d’exemplaires écoulés dans le monde.

« Super Mario Bros. » (1985, Nintendo). | Nintendo

L’explosion des genres de jeux

Dès lors, c’est la surenchère aux jeux de plates-formes et d’action. Chacun y va de son univers et de son nouveau héros armé. Un ange et ses flèches dans le loufoque Kid Icarus (1986) ; un chasseur de vampires et son fouet dans Castlevania (1987) puis Castlevania : Simon’s Quest (1988) ; un ninja et son katana dans Ninja Gaiden (1988) ; un androïde bleu et son bras pistolet dans Megaman et surtout Mega Man 2 (1988), ou encore des mercenaires à la Rambo dans Super C (1988).

« Mega Man 2 » (1988, Capcom). | Capcom

En parallèle, une révolution technologique bouleverse la manière dont on envisage la création : la pile de sauvegarde. Tel un marque-page pour jeu vidéo, elle permet pour la première fois de pouvoir reprendre sa partie là où celle-ci s’était arrêtée auparavant, sans passer par de fastidieux mots de passe. Assortie à l’apparition de cartouches à la capacité de stockage plus importante, elle accouche d’une nouvelle génération d’aventures de longue haleine. Ainsi apparaissent l’inoubliable The Legend of Zelda (1986) et Final Fantasy (1987).

La deuxième partie des années 1980 est caractérisée par une ébullition du secteur. Les genres s’hybrident. Le fascinant jeu d’aventure spatiale Metroid (1986), inspiré du film Alien, combine action, tir, exploration, escalade et aventure. De son côté, Zelda II : The Adventure of Link (1988) emprunte autant à Dragon Quest pour les points d’expérience qu’à Castlevania pour l’action vue de côté.

« Zelda II : The Adventure of Link » (1988, Nintendo). | Nintendo

Des genres apparaissent, comme celui de la castagne de rue, ou « beat’m all », avec Double Dragon II : The Revenge (1988), ou celui du jeu de réflexion, popularisé par Tetris, et auquel Nintendo répond avec son Dr. Mario (1990). Même le jeu de tir spatial connaît un revival avec Gradius (1986) et ses épopées colorées et ses bonus, ou Bubble Bobble (1986) et ses dinos cracheurs de bulles bon enfant.

Mondialisation de l’imaginaire

Pour l’industrie du jeu vidéo, c’est une période de mondialisation nouvelle qu’a ouverte la NES. La production est alors essentiellement japonaise, mais surtout tournée vers le public américain, où elle devient le jouet le plus acheté trois Noël d’affilée, de 1987 à 1989. L’éditeur nippon Tecmo crée donc Tecmo Bowl (1989), un jeu de football américain rapide et accessible ; tandis que Nintendo imagine un monde fantastique inspiré d’Hawaï dans StarTropics (1990), un jeu d’aventure à la Zelda spécialement conçu pour les consommateurs américains.

« Tecmo Bowl » (Tecmo, 1989). | Tecmo

De nombreuses aventures ne traversent pas les océans. Sur Final Fantasy, la quantité de texte est telle que son éditeur, Square, préfère renoncer à le sortir en Europe – les Américains, eux, y auront droit – que de le traduire en plusieurs langues. Jugé trop dur et trop proche du premier, le véritable Super Mario Bros. 2 n’est pas exporté. Nintendo remaquille finalement un autre projet, en remplaçant une famille perse jeteuse de légumes par Mario et ses amis, pour en faire le Super Mario Bros. 2 (1988) occidental. De son côté, Super C est rebaptisé Probotector sur le Vieux Continent, et ses mercenaires humains remplacés par des robots pour ne pas choquer le marché allemand, où la grande distribution refusait les jeux de tir réalistes.

Nintendo apprend de ces problèmes de localisation et pense désormais ses jeux de manière à ce qu’ils puissent voyager facilement en s’inspirant des univers lisses de la Walt Disney Company. Le succès de Super Mario Bros. 3 (1989), à la structure inspirée de Disneyland, consacre définitivement Mario comme nouveau héros phare de l’industrie du divertissement, devant Mickey Mouse. A ses côtés, le constructeur japonais lance de nouveaux personnages consensuels, comme la petite boule rose gloutonne Kirby, dans Kirby’s Adventure (1993), l’un des derniers jeux majeurs de la console. Dix ans après la plus grave crise qu’ait jamais connue le secteur, la NES vit ses dernières années de la même manière que son nouveau héros : en rose, à la légère, après avoir tout avalé sur son passage.

« Kirby’s Adventure » (1993, Nintendo). | Nintendo