Manifestations contre la loi El Khomri : un lycéen violemment frappé par la police, l'IGPN saisie
Durée : 00:30

Les onze secondes de vidéo sont accablantes. Un garçon à terre se fait hurler dessus par trois policiers : « Lève-toi ! Lève-toi ! », crient-ils en lui tordant le bras. A peine est-il debout que l’un des gardiens de la paix, casqué, lui décoche un coup de poing en pleine figure. Le garçon est violemment projeté sur le sol, le policier l’immobilise en maintenant son genou sur le corps. Deux de ses collègues, bouclier en main, se placent devant.

Sans cette vidéo, tournée par un téléphone portable, Sofiane O., gardien de la paix au commissariat du 19e arrondissement de Paris, n’aurait jamais comparu devant le tribunal correctionnel, sous l’accusation de « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ».

La victime est un lycéen de 15 ans ; il était rentré chez lui sans oser raconter à ses parents ce qui s’était passé. Ce matin du 24 mars, en pleine vague de manifestations contre la loi travail, Adan était arrivé devant le lycée Bergson dont les portes étaient barrées par un éphémère barrage de poubelles.

Il s’était joint au groupe d’élèves qui lançaient des œufs et des paquets de farine sur la poignée de policiers envoyés par le commissariat. Furieux d’avoir été atteints et ayant reçu l’ordre d’interpeller les « récalcitrants », ils avaient poursuivi les lycéens dans la rue. Adan était l’un d’eux. En courant, il avait trébuché et était tombé, aussitôt entouré par les trois policiers.

Mise en ligne dans les heures qui suivaient, la vidéo avait enflammé les réseaux sociaux et conduit l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) à ouvrir une enquête.

Un policier frappe un lycéen devant le lycée Henri-Bergson, à Paris, le 24 mars. | Capture écran

« Ça brûle, la farine ? »

Quel contraste entre l’allure sage du prévenu, un jeune homme fluet, aux traits fins, portant costume sombre et cravate, qui se tient face au tribunal et ces images de violence d’un policier casqué diffusées dans la salle d’audience !

Entre éléments de langage calibrés – « les effectifs étaient insuffisants », « je ne faisais que des missions de police secours et je n’avais reçu que quelques heures de formation en maintien de l’ordre » – et langue de procès-verbal – « l’hostilité des individus » dès l’arrivée de « l’équipage » –, Sofiane O., 26 ans, semble réciter plus qu’il ne s’exprime. « Il y avait des risques que ça dégénère, j’étais sur le qui-vive, en situation de stress », dit-il.

La présidente :

« Ce sont des œufs, est-ce que cela représente vraiment un danger ?

– J’ai vu aussi un paquet de farine enflammé…

– Mais ça brûle, la farine ? demande, dubitative, la présidente.

Ben oui, le papier. Avec un briquet. »

Sofiane O. assure aussi avoir vu les lycéens « jeter des pierres ». « Pas beaucoup », concède-t-il.

« Vous ne les avez pas signalées dans le rapport que vous avez rédigé le jour même, observe la présidente.

C’est un oubli de ma part. »

Le gardien de la paix affirme aussi qu’il s’est « senti en danger » quand l’élève qu’il entourait avec ses deux collègues, s’est redressé.

« J’ai eu l’impression que ses doigts tiraient sur la jugulaire de mon casque. J’ai voulu lui porter un coup au plexus. Malheureusement, à ce moment-là, il y a eu une poussée. C’est un malheureux concours de circonstances, je n’ai jamais eu la volonté de le frapper au visage. Je regrette vraiment. Surtout que j’ai travaillé dur pour entrer dans la police. »

Maladroitement, il ajoute, pour preuve de sa bonne foi : « Sans compter que je travaille depuis deux ans dans ce commissariat, que je sais qu’il y a des caméras de vidéosurveillance de la préfecture de police et que les lycéens filment tout avec leur portable… »

Version différente

Le prévenu a cependant plus de mal à expliquer pourquoi, lors de son premier interrogatoire par l’IGPN, il a donné une version très différente des faits, avant que les enquêteurs ne lui soumettent les images des vidéos tournées sur place.

De l’autre côté du banc, assis entre ses parents, Adan, vêtu lui aussi d’une chemise blanche et d’un pantalon noir, semble dépassé par l’attention qui l’entoure. Appelé à la barre, il raconte timidement les faits, reconnaît les lancers d’œuf et de farine, assure qu’il n’y a eu aucun jet de pierres et fait naître un sourire sur les visages des juges lorsqu’il dit qu’il n’a ni proféré ni entendu d’insultes contre les policiers.

« Vous les avez donc bien accueillis ?

– Si, oui mais non », souffle l’adolescent qui s’en est sorti avec le nez en sang et une plaie heureusement sans gravité à l’arrière du crâne.

« J’ai envie de croire que Sofiane O. a vraiment paniqué ce jour-là, qu’il est conscient de la gravité de son geste et que cette comparution lui a permis de réaliser qu’il a failli tout perdre », observe le procureur en requérant contre le gardien de la paix six mois de prison avec sursis, sans inscription à son casier judiciaire afin de lui permettre de continuer à exercer son métier.

Le jugement a été mis en délibéré au 23 novembre. En attendant, Sofiane O., interdit de mission sur la voie publique, a été affecté… aux caméras de surveillance.