Une fleur et un message avec « Merci pour tout Leonard » laissés sur la porte de la maison de Leonard Cohen sur l’île grecque d’Hydra, le 11 novembre 2016. | LOUISA GOULIAMAKI/AFP

Triste semaine ! Deux jours après la stupéfiante victoire de la démagogie, du cynisme et de la peur aux Etats-Unis (« le berceau du meilleur et du pire », avait-il écrit dans les années 1990), Leonard Cohen, l’un des plus grands poètes, musiciens et interprètes de notre temps, nous a quittés. Comme si l’auteur de Democracy et de You Want It Darker son magnifique album crépusculaire paru il y a tout juste trois semaines – n’avait pas pu ou voulu survivre à une telle disgrâce.

Pourtant, Cohen était loin d’être un naïf, et les sombres prophéties d’Everybody Knows (« Everybody knows the boat is leaking/Everybody knows the captain lied »« Tout le monde sait que le bateau fuit/Tout le monde sait que le capitaine a menti ») ou de The Future (« The blizzard of the world has crossed the threshold and it’s overturned the order of the soul » –  « Le blizzard du monde a franchi les bornes et renversé l’ordonnancement des âmes ») résonnent aujourd’hui avec une acuité toute particulière. Bien plus que le poète intimiste de Suzanne, Leonard Cohen était devenu, au fil des années, une sorte de conscience du monde, aussi torturé que lui, mais faisant toujours triompher la spiritualité, l’humilité, l’amour et l’espoir sur l’arrogance, le cynisme et toute autre forme de vulgarité.

Le poète de Montréal s’était inscrit dans le sillage folk de Dylan à la fin des années 1960, mais son œuvre littéraire et musicale sur une cinquantaine d’années dépasse à mes yeux largement celle de ce dernier, en profondeur spirituelle et en longévité. Les reprises d’Hallelujah et de tant d’autres merveilles l’ont connecté aux nouvelles générations. Ses tournées mondiales des années 2008- 2013 l’ont montré au sommet de son art. Gageons que Dylan lui-même saura mieux que le jury du Nobel lui rendre à Stockholm l’hommage qu’il mérite.

Je vois dans la révérence que le « gentleman au fedora » de ces dernières années vient de tirer au monde en cette semaine si lourde de symboles, un signe, comme ce grand humaniste et visionnaire les affectionnait. Face à la laideur des temps, cet amoureux de la beauté, tant féminine que spirituelle, nous adresse un double message de résistance et d’espoir, illustré par ces vers d’Anthem (« Hymne ») :

 « Ring the bells that still can ring
Forget your perfect offerings
There is a crack in everything
That’s how the light gets in. »
« Faites sonner les cloches qui résonnent encore
Oubliez vos offrandes parfaites
En toute chose il est une fissure
Par où pénètre la lumière. »

Merci, Leonard. Tu vas nous manquer.

Laurent Cohen-Tanugi, essayiste