Des membres de la Garde civile vénézuélienne encadrent une manifestation d’opposants au président Maduro, à San Cristobal, le 26 octobre 2016. | GEORGE CASTELLANOS / AFP

« La trêve est finie », a annoncé Jesus « Chuo » Torrealba, porte-parole de la Table de l’unité démocratique (MUD), la coalition de l’opposition de centre-gauche vénézuélienne, à la veille de la deuxième réunion de dialogue avec le gouvernement chaviste, vendredi 11 novembre à Caracas. A la télévision, le président Nicolas Maduro fustigeait les opposants, tandis que le numéro deux du régime, le capitaine Diosdado Cabello, faisait la même chose à Medellin : « Nous allons vers davantage de révolution », a-t-il promis aux partisans de l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013). Ainsi, les deux camps semblent vouloir négocier sous la pression de la rue. Les tractations s’annoncent laborieuses et les résultats incertains. Levée après 23 heures, la réunion devait reprendre samedi.

« Il n’y a pas au Venezuela aujourd’hui de force politique capable d’imposer son hégémonie », a tweeté le général Miguel Rodriguez Torres, l’ancien ministre de l’intérieur, responsable de la brutale répression des protestations de 2014, qui avait causé la mort de 43 personnes. Ce faucon chaviste devenu colombe prône désormais « deux ans de gouvernement de consensus pour appliquer un programme minimum en matière d’économie et de sécurité publique, et pour organiser des élections générales ».

Aucune figure du pouvoir n’ose s’attaquer à cet ancien chef du renseignement militaire, qui a sans doute gardé des dossiers. Toutefois, ses propos sont commentés avec intérêt sur le forum Aporrea, dont le directeur compte parmi les chavistes dissidents. « Dans le cas d’un gouvernement de transition, Rodriguez Torres pourrait être un nom acceptable pour le chavisme et pour l’opposition », estime le démocrate-chrétien Ramon Guillermo Aveledo, ancien président de la Chambre des députés et artisan de l’union de l’opposition.

Henrique Capriles Radonski a proposé, de son côté, que le ministre de la défense, le général Vladimir Padrino Lopez, se joigne au dialogue. L’ancien candidat de l’opposition à la présidence a confié ses raisons au Monde : « Ni le Venezuela ni ses militaires n’ont d’avenir avec Maduro. Les généraux sont très engagés dans l’appareil d’Etat et les entreprises publiques, mais il y a beaucoup de mécontentement parmi les officiers et la troupe, qui souffrent aussi les pénuries. »

D’après M. Capriles, l’opposition a gagné, lors des législatives de décembre 2015, dans des circonscriptions où votent beaucoup de militaires. « Eux aussi aspirent à un changement. Des explosions de mécontentement populaire localisées ont lieu sporadiquement, précise-t-il. Que fera l’armée si cela se généralise ? Tirer contre le peuple ? Les forces armées ne veulent pas être placées devant un tel dilemme. Je pense donc qu’elles ont intérêt à appuyer une solution électorale. Personne ne souhaite un coup d’Etat. »

Lire l’entretien avec Henrique Capriles : Au Venezuela, « la poignée de main ne suffit pas »

L’idée d’associer les forces armées au dialogue ne fait guère l’unanimité dans les rangs des opposants à M. Maduro. « Les militaires, à leurs casernes », a lancé le social-démocrate Henry Ramos Allup, président de l’Assemblée nationale. « L’opposition a abordé le début du dialogue, le 30 octobre, très divisée, ce qui a donné l’avantage au gouvernement », note l’historienne Margarita Lopez Maya, à l’Université centrale du Venezuela.

Quel est le but du dialogue : s’agit-il d’imposer le référendum révocatoire pour écourter le mandat du président Maduro, ou des élections anticipées ? Ou bien est-ce plutôt le début d’une transition négociée entre le régime actuel et un Etat de droit ? A l’évidence, le général Rodriguez Torres se situe dans la seconde perspective. Parmi les opposants, beaucoup ne voient pas d’intérêt à négocier, parce qu’ils croient que le pouvoir va s’effondrer par la pression économique ou sociale. Le gouvernement Maduro, lui, joue la montre.

« Le pouvoir est davantage entre les mains des militaires que du président Maduro et de son entourage, qu’on appelle la “bande des six”, estime Francine Jacome, chercheuse à l’Institut vénézuélien d’études sociales et politiques. Mais les généraux ont sous-estimé le coût politique de prendre en charge la distribution d’aliments et le maintien de l’ordre. »

Les officiers, « nouvelle classe dominante »

Malgré les déclarations de loyauté du général Padrino, capable de terminer une allocution par le mot d’ordre « Chavez vit ! », le ministre de la défense pense surtout à préserver sa propre institution. « Les intérêts particuliers ne suffisent pas à expliquer l’attitude des forces armées, assure Colette Capriles, politologue à l’université Simon Bolivar. Les généraux défendent aussi la corporation militaire choyée par Chavez, désormais affranchie de toute subordination aux civils. »

Les militaires pourraient sacrifier les brebis galeuses impliquées dans les trafics divers, pour conserver leur autonomie et leur emprise sur le pétrole, les mines ou les ports. « Ils agissent comme un acteur économique, si ce n’est comme une nouvelle classe dominante », souligne Colette Capriles. D’où le sentiment qu’ils seraient davantage prêts à négocier avec l’opposition une transition et une amnistie réciproque, même si la « bande des six » s’accroche à ses avantages.

Grâce au dialogue, M. Maduro espère « naviguer en paix jusqu’à 2018 », a-t-il dit aux téléspectateurs. A partir du 10 janvier 2017, si le chef de l’Etat est écarté, le mandat présidentiel devrait être complété par le vice-président, qui peut être remplacé à tout moment. « Après cette date, le danger pour Maduro ne viendra pas des opposants, mais des chavistes », conclut Margarita Lopez Maya.