Lors d’un séminaire de journalistes, à Santiago du Chili, le 12 juillet 2016. | RODRIGO GARRIDO / REUTERS

Ce pourrait être l’épilogue d’une longue saga judiciaire, débutée en 2010. Ou bien le énième épisode d’une affaire qui pourrait encore se prolonger quatre ans, jusqu’à la prescription des derniers faits reprochés au fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Lundi 14 novembre, après deux tentatives infructueuses, en juin 2015 et en janvier 2016, la justice suédoise va enfin entendre l’Australien, dans le cadre de l’enquête pour viol dont il fait l’objet depuis août 2010 – les faits d’agression sexuelle qui lui étaient reprochés sont prescrits depuis août 2015.

L’audition se tiendra à l’ambassade d’Equateur à Londres, où Julian Assange a trouvé refuge en août 2012. Elle aura lieu en présence d’une procureure et d’un officier de police suédois. Mais, selon les termes de la convention de coopération judiciaire signée par la Suède et l’Equateur, les questions, envoyées à l’avance par le parquet de Stockholm aux autorités judiciaires à Quito, seront posées par un procureur équatorien. « C’est dommageable pour la qualité de l’audition, puisqu’il ne sera pas possible de poser des questions de suivi, mais nous avons fait ce choix contre l’alternative, qui était d’accepter qu’il ne se passe rien », rapporte Robin Simonsson, porte-parole du parquet.

En mars 2015, la procureure en charge du dossier, Marianne Ny, qui a toujours refusé de se rendre à Londres, s’est fait rappeler à l’ordre par la cour d’appel de Stockholm, qui a critiqué la passivité du parquet. L’ancien procureur Sven-Erik Alhem regrette notamment que les enquêteurs ne se soient pas rendus à Londres avant que le cyberactiviste trouve refuge à l’ambassade d’Equateur : « Cela aurait au moins permis de conclure l’enquête préliminaire et peut-être de mettre un terme à cette affaire. »

« Viol de moindre gravité »

Le bureau du procureur a fait savoir que M. Assange pourrait être soumis à un test ADN et qu’en fonction des résultats de l’interrogatoire, le parquet décidera ou non d’inculper l’Australien, visé pour « viol de moindre gravité ». Selon son accusatrice, une jeune femme de 27 ans au moment des faits, il aurait engagé une relation sexuelle non protégée avec elle, alors qu’elle dormait et qu’elle avait clairement indiqué vouloir qu’il porte un préservatif.

En 2005, la Suède a durci sa législation, requalifiant en viol tout rapport sexuel entrepris avec une personne inconsciente. Le « viol de moindre gravité », passible de deux à quatre ans de prison, désigne « un acte de courte durée, commis sans violence ou autre humiliation, mais où il n’y a pas eu de consentement », explique la pénaliste Madeleine Leijonhufvud.

La probabilité, cependant, que l’affaire arrive un jour devant les tribunaux est faible, selon le professeur de droit Christian Diesen : « D’abord parce qu’il est très rare qu’un procureur inculpe pour viol de moindre gravité, tellement les faits sont difficiles à établir. Ensuite, parce que dans neuf cas sur dix, les plaintes pour viol ne débouchent sur aucune inculpation. » Au tribunal, la moitié seulement des accusés sont condamnés. « L’usage dans ce type de dossier est de deux ans et demi de prison, avec remise en liberté surveillée à la moitié de la peine », précise le juriste.

« Principe de spécialité« 

Rien n’indique que le fondateur de Wikileaks, qui dit craindre une extradition vers les Etats-Unis et un procès pour espionnage, accepte de se rendre à Stockholm s’il est inculpé. Mark Klamberg, maître de conférences à l’Université de Stockholm, évoque « une théorie du complot », car, rappelle-t-il, « l’accord d’extradition entre la Suède et les États-Unis ne couvre pas les délits politiques, ni les délits relatifs à un délit politique, dont l’espionnage fait partie ». M. Assange ne pourrait pas non plus être extradé s’il risquait la peine de mort.

Par ailleurs, en vertu du « principe de spécialité », Stockholm devrait d’abord obtenir l’accord de la Grande-Bretagne avant de l’extrader vers les Etats-Unis pour de nouvelles charges. Or, souligne Mark Klamberg, « Assange a vécu plus d’un an au Royaume-Uni avant de se réfugier à l’ambassade d’Equateur, sans jamais évoquer sa crainte d’être extradé aux Etats-Unis ».

Anne-Françoise Hivert
Malmö (Suède) - correspondante régionale