Paul Vergès, sénateur de La Réunion, le 25 septembre 2011 à Saint-Denis-de-la-Réunion. | RICHARD BOUHET / AFP

Le sénateur Paul Vergès, âgé de 91 ans, fondateur du Parti communiste réunionnais, est décédé dans la nuit du vendredi 11 au samedi 12 novembre, à La Réunion, a annoncé sa famille dans un communiqué. Il était hospitalisé depuis le 25 octobre.

Paul Vergès était sénateur de La Réunion depuis septembre 2011, après l’avoir déjà été de 1996 à 2004, ancien président du conseil régional, ancien député de La Réunion et ancien député européen. Doyen d’âge du Sénat, il était le plus connu des hommes politiques réunionnais et aussi le détenteur du record de longévité parmi les élus français, ayant occupé différents mandats depuis sa première élection en 1955 comme conseiller général.

Paul Vergès est né le 5 mars 1925 à Oubone, dans le royaume de Siam (aujourd’hui Ubon Ratchathani, Thaïlande). Sa mère est une jeune institutrice locale, Khang Pham-Ti, et son père est Raymond Vergès, médecin et consul de France. Pour des raisons restées obscures, ce dernier déclare le même jour l’autre enfant, Jacques, que le couple a eu un an plus tôt. Paul et Jacques (le futur avocat, mort en 2013) passeront de ce fait longtemps pour des jumeaux.

Résistance

De retour en 1931 à La Réunion, son île natale, où il est nommé directeur du service de santé de la colonie, Raymond Vergès s’engage en politique. Les deux enfants assistent souvent, à ses côtés, aux luttes syndicales que va raviver l’arrivée du Front populaire et dans lesquelles ce franc-maçon proche des communistes s’implique activement.

En 1942, Paul et Jacques embarquent sur le Léopard, contre-torpilleur français venu participer au ralliement de La Réunion à la France libre, pour s’engager dans la Résistance. C’est à cette époque que leurs parcours s’éloigneront. A la Libération, Paul Vergès intègre la section coloniale du PCF, à Paris.

Son père, élu maire de Saint-Denis-de-la-Réunion et député à l’Assemblée constituante, est l’un des artisans de la loi du 19 mars 1946 érigeant en départements La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane.

En mai 1947, l’homme politique Alexis de Villeneuve (MRP) est blessé mortellement par balle dans une réunion électorale à Saint-Denis, lors d’affrontements avec des contre-manifestants communistes. Paul Vergès, en séjour dans l’île, qui se trouvait sur place, est accusé du meurtre : le revolver utilisé appartenait à son père.

« Candidat tout le temps »

Le jeune homme est transféré en métropole où la cour d’assises de Lyon le reconnaît coupable de « coups et blessures sans intention de donner la mort », écartant le chef initial de meurtre avec préméditation. Condamné à une peine de prison avec sursis, il sera gracié en 1953 par une loi d’amnistie ; mais la confusion entourant son rôle dans cet épisode violent a longtemps défrayé la chronique.

Lorsqu’il revient s’installer à La Réunion en 1954, avec sa femme Laurence et leurs deux filles (ils auront encore deux garçons), Paul Vergès prend la direction du journal Témoignages, fondé par son père dix ans plus tôt et entame une carrière politique qui durera six décennies, servie par un charisme et des qualités de stratège exceptionnels.

Sa mobilisation, cette année-là, aux côtés des planteurs et ouvriers pour empêcher la fermeture de l’usine sucrière de Quartier-Français, dope l’assise du Parti communiste, qui a créé en 1947 sa fédération locale. En 1955, il décroche son premier mandat, celui de conseiller général de Saint-Paul. L’année suivante, il est élu député. « J’ai été candidat tout le temps et dans toute l’île », résumera-t-il plus tard, après avoir occupé tous les types de fonctions électives possibles.

S’affranchir de « Paris »

En 1959, soucieux de s’affranchir de « Paris » pour donner la priorité aux problèmes locaux, il fonde le Parti communiste réunionnais (PCR), dont il est le secrétaire général jusqu’en 1993 – il est reste bien plus longtemps encore le leader incontesté.

Le mot d’ordre alors est l’autonomie de l’île. « Le classement en département n’avait pas remis en cause le régime foncier de la grande propriété ni le monopole industriel et commercial, explique Paul Vergès dans Une île au monde, un livre d’entretiens avec Brigitte Croisier (L’Harmattan, 1993). S’est affirmée alors la nécessité d’une politique spécifique pour nos pays, prenant en compte cet aspect plus anticolonialiste de la lutte et la prise nécessaire de responsabilité par les Réunionnais eux-mêmes. »

La popularité croissante dont jouit le Parti à La Réunion se heurte à la forte hostilité des autorités. Témoignages, qui dénonce les fraudes électorales et relaie les articles du Monde et de L’Humanité sur la guerre d’Algérie, est saisi à de nombreuses reprises. Son directeur est poursuivi pour atteintes à la sûreté de l’Etat et condamné à plusieurs mois de prison ferme.

Clandestinité

En mars 1964, sachant son arrestation proche et refusant de purger sa peine tant que les fraudeurs dénoncés dans les colonnes de son journal ne seront pas inquiétés, Vergès entre en clandestinité. Elle durera vingt-huit mois, une période qu’il a qualifiée de « mélodramatique », racontant volontiers comment il tourna plus d’une fois en ridicule les gendarmes à ses trousses.

Même si le fugitif a pu bénéficier, au-delà d’un soutien populaire, de complicités haut placées, l’épisode « fut un peu le mythe fondateur du PCR, son épopée », relève Brigitte Croisier. Ces années-là, « le PCR a accumulé un capital qui l’identifie à la lutte pour les libertés, par opposition aux autres partis de l’île », observera plus tard Vergès. Lorsqu’en 1966, il se rend aux autorités, il bénéficiera d’un non-lieu.

Les années qui suivent le voient enchaîner les mandats électoraux, notamment celui de maire du Port (1971-1989), commune dont il redessine en profondeur l’urbanisation. En 1981, après l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la République, le PCR remplace son mot d’ordre d’autonomie par celui d’égalité sociale, réclamant pour le département les mêmes prestations familiales aux mêmes conditions qu’en métropole.

Réchauffement climatique

« La Réunion peut être l’exemple d’un pays où le développement ne soit pas incompatible avec l’égalité, mais, au contraire, l’accompagne. (…) Quel exemple dans la région et au-delà pour ce qui concerne les relations Nord-Sud », fait valoir Paul Vergès, à propos de ce changement de stratégie.

Lorsqu’une loi institue la « parité sociale » plutôt que l’égalité, lui et Elie Hoarau, maire (PCR) de Saint-Pierre, protestent en démissionnant de leurs postes de députés, en 1987. Il faudra attendre 1996 pour voir le smic aligné sur le niveau national, conformément à une promesse de campagne électorale de Jacques Chirac, à qui le leader du PCR avait apporté un soutien de fait à la présidentielle, un an plus tôt, en appelant les Réunionnais à voter « selon [leur] sensibilité » indifféremment pour le candidat de la droite, pour Lionel Jospin, Robert Hue ou Dominique Voynet.

Elu sénateur en 1996, Paul Vergès s’emploie à alerter sur les conséquences du réchauffement climatique – une préoccupation qu’il va exprimer désormais quasiment à chacune de ses interventions publiques ou devant la presse. Il présidait l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc) depuis sa création, dont il était à l’origine, en 2001.

Au conseil régional, où il est membre de l’exécutif depuis 1983, son accession à la présidence en 1998, à la tête d’une liste de « rassemblement » élargie à la société civile, lui fournit le poste privilégié (où il sera reconduit en 2004) pour mettre en œuvre ses idées d’ouverture de l’île à l’international et d’aménagement du territoire.

La Réunion, un « laboratoire »

Lui qui prône une vision à long terme, voit dans l’île un « laboratoire » concentrant, à son échelle et avec ses caractéristiques propres, des phénomènes mondiaux : démographiques, économiques, environnementaux, et « où se retrouvent, note-t-il, toutes les contradictions, celles de la société capitaliste et celles du tiers-monde ».

Mais l’audience du PCR s’érode. Aux législatives de 2007, son leader vieillissant est sévèrement battu par un jeune candidat de l’UMP, Didier Robert, dont c’est la première élection au suffrage universel. Trois ans plus tard, ce dernier lui ravit la présidence de la région, contrecarrant ses projets de tram-train et de Maison des civilisations et de la culture réunionnaise.

Contestations internes et dissidences fragilisent ce qui fut naguère le « parti central de La Réunion », selon le mot du politologue Yvan Combeau. Les déroutes électorales se succèdent pour le Parti, contraint à un « congrès de la reconstruction » en 2013. Imperturbable, Paul Vergès, réélu de justesse sénateur en 2011, ne perdait pas une occasion, ces dernières années, de commenter l’actualité locale. Pour y dénoncer invariablement, d’un ton consterné et moqueur, « la sous-estimation idéologique à La Réunion par la classe politique ».

Paul Vergès, les dates

5 mars 1925 Naissance à Oubone (Siam, future Thaïlande)

1959-1993 Secrétaire général du Parti communiste réunionnais

1998-2010 Président de la région de La Réunion

Depuis 2011 Sénateur de La Réunion

Nuit du 11 au 12 novembre 2016 Décès à La Réunion