Kemal Kilicdaroglu, le leader du Parti républicain du peuple, le 24 juillet à Istanbul en Turquie. | OZAN KOSE / AFP

Le chef du Parti républicain du peuple (CHP, opposition laïque), Kemal Kilicdaroglu, est sorti de ses gonds, vendredi 11 novembre, en Turquie, pour dénoncer la répression qui est menée par le gouvernement islamo-conservateur au nom de l’antiterrorisme depuis le putsch raté du 15 juillet.

« La moindre critique est suivie d’une convocation au tribunal », s’est insurgé M. Kilicdaroglu lors d’un discours prononcé devant son groupe parlementaire à Ankara. « Je supplie les autorités de me convoquer au tribunal moi aussi. Mais elles ne le font pas, elles ont peur. Elles savent que j’ai les preuves de leur coopération avec les terroristes », a-t-il déclaré.

Selon lui, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo conservateur, au pouvoir depuis 2002) est « la seule formation politique qui collabore avec des organisations terroristes. Au Moyen-Orient, avec Al-Nosra et l’organisation Etat islamique [EI], en Turquie avec le PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit] et avec la mouvance Gülen », la communauté du prédicateur Fethullah Gülen. Exilé aux Etats-Unis depuis 1999, le chef religieux est décrit par Ankara comme le cerveau du putsch. Mais il était du côté de l’AKP lors de son accession au pouvoir.

La purge ne faiblit pas

Visiblement excédé, M. Kilicdaroglu a fustigé la direction du pays, sans la nommer. « Vous avez soigné les militants de l’EI en Turquie. Vous avez fermé les yeux sur les passages des djihadistes. C’est à cause de vous si cette organisation s’en prend à notre nation. Vous avez nourri et élevé le mouvement Gülen. Vous leur avez donné tout ce qu’ils voulaient. Vous leur avez ouvert les portes des institutions. C’est à cause de vous si cette organisation est devenue une réelle menace pour notre population. »

Le danger guette. « Des affrontements » pourraient se produire si les dirigeants en place persistaient à « agir hors du cadre légal pour instaurer un changement de régime », assure M. Kilicdaroglu.

Profitant des pouvoirs exceptionnels qui lui sont conférés par l’état d’urgence – il est en vigueur depuis le 20 juillet et le restera jusqu’au 20 janvier 2017 – le gouvernement a fait procéder à l’arrestation de plus de 30 000 personnes tandis que 110 000 salariés ont été suspendus ou limogés.

La purge ne faiblit pas. Chaque jour apporte son lot de nouvelles arrestations et de nouveaux limogeages. Elle s’est élargie aux élus kurdes avec l’arrestation des deux maires de la ville de Diyarbakir (sud-est du pays) et la destitution de plusieurs autres, remplacés par des administrateurs judiciaires.

Elle a atteint des sommets avec l’arrestation, le 5 novembre, de neuf députés du Parti de la démocratie des peuples (HDP, pro-kurde), dont les deux coprésidents, Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, inculpés de collaboration avec le PKK.

Inquiétude et désarroi dans le camp laïc

Les arrestations récentes d’une dizaine de salariés du quotidien kémaliste Cumhuriyet, dont le chroniqueur Kadri Gursel, le rédacteur en chef Murat Sabuncu, le caricaturiste Musa Kart ont contribué à semer l’inquiétude et le désarroi parmi le camp laïc. Tous sont accusés de mener des « activités terroristes » pour le compte de Gülen et du PKK « sans en être membres », stipule l’acte d’accusation.

Enfin Akin Atalay, le président du directoire de Cumhuriyet, a été arrêté vendredi à Istanbul, à l’aéroport Atatürk, alors qu’il venait de rentrer d’un séjour en Allemagne. Visé par un mandat d’arrêt, accusé d’« activités terroristes », il a aussitôt été placé en garde à vue.

D’après son épouse, Adalet Atalay, le gouvernement cherche à prendre le contrôle du quotidien en nommant à sa tête un administrateur judiciaire. Fondé en 1924, un an après la naissance de la République, Cumhuriyet est dans le collimateur de l’AKP depuis qu’il a révélé, en 2015, la fourniture d’armes par les services à des rebelles islamistes en Syrie.

Les députés du CHP risquent-ils un jour d’être voués au même sort que leurs collègues du HDP ? La question se pose avec une plus grande acuité depuis le 8 novembre, jour où le président Recep Tayyip Erdogan a porté plainte, via son avocat, contre le CHP et contre l’ensemble de ses députés au Parlement (134 sur 550) dont M. Kilicdaroglu.

Principal parti d’opposition au parlement, le CHP est poursuivi pour insulte envers le chef de l’Etat. Son crime ? Avoir déclaré dans un récent communiqué, qu’un « coup d’Etat autoritaire » orchestré par « le palais présidentiel », était en cours de réalisation contre les médias et contre l’opposition parlementaire.

  • Le journaliste français Olivier Bertrand arrêté Olivier Bertrand, journaliste et cofondateur du pure-player Les Jours, a été arrêté et placé en garde à vue vendredi 11 novembre au soir par les autorités turques. Cet ancien de Libération a été « interpellé sans motif » alors qu’il effectuait un reportage dans la province de Gaziantep (sud-est de la Turquie), a déclaré à l’AFP Isabelle Roberts, présidente du média en ligne créé en 2015. La rédaction était sans nouvelles du journaliste depuis 17 heures (18 heures à Paris). « Nous exigeons sa libération immédiate », a-t-elle poursuivi, « on est très inquiets, on attend de ses nouvelles ». Un photographe turc qui l’accompagnait a également été interpellé, puis relâché au bout de cinq heures de garde à vue.