Dans un message publié en septembre, sur Twitter, à propos de la déduction fiscale de 2,2 milliards d’euros dont avait bénéficié la Société générale au lendemain de l’affaire Kerviel, le ministre de l’économie, Michel Sapin, avait prévenu : « je serai particulièrement attentif à la défense des intérêts du Trésor et des contribuables français dans cette affaire #Kerviel ».

Or, selon une information du quotidien économique Les Echos publiée sur son site Internet lundi 14 novembre, l’administration fiscale « a lancé une procédure, pour récupérer tout ou partie du crédit d’impôt dont a bénéficié la Société Générale ». Retranchés derrière le « secret fiscal », ni Bercy ni la Société générale ne voulaient confirmer, mardi matin.

Une telle procédure ferait donc suite au réexamen de la situation fiscale de la banque, commandé par M. Sapin en septembre, après une nouvelle décision de justice dans cette affaire de fraude à 4,9 milliards d’euros, commise par l’ex-trader Jérôme Kerviel et mise au jour il y a plus de huit ans.

Après des années de feuilleton judiciaire, la cour d’appel de Versailles a condamné Jérôme Kerviel, le 23 septembre, à verser un million d’euros de dommages et intérêts à la banque, loin des 4,9 milliards perdus par la Société générale et que celle-ci lui réclamait. Car selon la justice, il y a eu des « manquements » dans les procédures de contrôle de la banque envers les agissements de son ex-trader. La responsabilité s’en trouve partagée.

Application du droit commun

« Les carences dans l’organisation et les dispositifs de contrôle et de sécurité de la banque ont concouru à la production du dommage, limitant le droit à indemnisation », a conclu la Cour d’appel. C’est sur cet argument que s’est appuyé Bercy pour lancer le réexamen fiscal de la Société générale, afin de vérifier si la déduction appliquée en 2009 et en 2010 reste légitime.

La décision de la Cour d’appel de Versailles « reconnaît évidemment une responsabilité que je qualifierais d’importante » pour la banque, avait aussitôt déclaré M. Sapin.

La décision de Bercy de valider l’application du droit commun à la Société générale, au lendemain de la fraude, sous le mandat de Nicolas Sarkozy – soit la possibilité pour des entreprises, de bénéficier d’une créance d’impôt, en cas d’exercice déficitaire et de fraude – avait fait grincer des dents, d’emblée, dans le monde politique.

De François Hollande, alors président du conseil général de Corrèze, au député souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, le débat avait enflammé la classe politique. Le flambeau a depuis été repris par Jean-Luc Mélenchon (candidat de la France insoumise) et dans le camp des Verts, par Eva Joly et Julien Bayou (EELV).

« Position constante » de la Société générale

Pour ces élus, la Société générale n’aurait pas dû bénéficier de ce régime fiscal avantageux, et certainement pas avant la clôture de la procédure judiciaire. Pour qu’il y ait déductibilité, soulignent-ils, deux conditions sine qua non sont requises : l’absence de complicité de la ligne hiérarchique et l’absence de défaillance des systèmes de contrôle des entreprises… Une disposition tombée en septembre, avec l’arrêt de la cour d’appel.

Se refusant à commenter l’information des Echos, la Société générale a cependant tenu à rappeler « sa position constante » à savoir que, selon elle, « le traitement fiscal de la perte occasionnée par les agissements frauduleux de Jérôme Kerviel a été opéré conformément à la législation fiscale applicable à toute entreprise ». « La décision de la cour d’appel de Versailles n’est pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de la déductibilité fiscale de la perte », martèle le groupe bancaire.

Pour Jean Veil, conseil historique de la banque, le sujet serait même « sans intérêt », du fait, précise-t-il, de « la jurisprudence constante du Conseil d’Etat ». Une jurisprudence selon laquelle une carence du contrôle interne ne pourrait fonder un refus de déduction des pertes comptabilisées après des opérations menées par un salarié, traduisant un risque excessif. Une remise en cause du crédit d’impôt Kerviel conduirait la banque à faire valoir sa position devant les tribunaux.