Après les acteurs Michel Blanc, Smaïn et Julie Gayet, le rappeur Abd Al Malik, le trompettiste Ibrahim Maalouf et la créatrice de mode Agnès B., c’est au tour du dessinateur Enki Bilal de parrainer l’opération Orchestres en fête, dont la huitième édition se tiendra du 18 au 20 novembre dans toute la France. Créé en 2008 par l’Association française des orchestres, l’événement a pour but de faire mieux connaître, comprendre et surtout apprécier le monde de la musique symphonique. Créations, musique de chambre (notamment dans les bars), ateliers de découverte, répétitions, « flashmobs », rencontres avec les artistes : quelque 72 événements programmés par 23 orchestres, dont 43 concerts avec un important focus autour du « Mythe Beethoven » à la Philharmonie de Paris. Enki Bilal, que l’on n’associe pas forcément au répertoire classique, parle de la place prépondérante de la musique dans sa vie et dans sa création.

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Pourquoi avez-vous accepté ce parrainage ?

Je ne suis pas du tout un spécialiste de la musique classique mais je pense qu’elle appartient à tout le monde. C’est pourquoi j’ai tout de suite souscrit à l’esprit d’ouverture qui sous-tend Orchestres en fête. La musique a toujours accompagné mon travail. J’aime qu’elle m’enveloppe. Sa présence m’apaise et me permet d’arriver à un meilleur état de concentration.

Quelles sont les musiciens qui accompagnent votre travail ?

J’écoute le plus souvent de la musique sacrée, celle d’Arvo Pärt. Je ne suis pas croyant mais son mystère m’apporte une forme de sérénité, celle que je retrouve dans les lieux de culte que je fréquente précisément pour cela. C’est dans cette atmosphère que j’ai réalisé, en 1997, mon album le plus noir et le plus violent, Le Sommeil du monstre, né en 1993 sous les bombes de Sarajevo et qui traite de la montée de l’obscurantisme religieux criminel.

Y avait-il de la musique dans votre enfance en Yougoslavie ?

Ma mère aimait et écoutait beaucoup l’opérette. Mais je dois ma découverte de la musique au cinéma, notamment à Stanley Kubrick. Son film 2001, l’Odyssée de l’espace, que j’ai vu au moins une vingtaine de fois depuis que le lycée, en 1968, m’a non seulement fait découvrir Richard Strauss (Also sprach Zarathoustra) et György Ligeti (Lux Aeterna) mais il m’a aussi inoculé, par le traitement qu’il en fait, un amour de la liberté qui a inspiré mon propre travail sur la bande dessinée. Il y a toujours chez les dessinateurs une forme de frustration de ne pas produire de sons.

Le dessinateur Enki Bilal, parrain de l'opération « Orchestres en fête » qui se tiendra du 18 au 20 novembre. | ORCHESTRES EN FÊTE

Est-ce pour cela que vous avez accepté de vous confronter au répertoire de l’opéra ?

Peut-être. J’avais déjà dessiné en 1990 pour le chorégraphe Angelin Prejlocaj les décors et costumes de son Roméo et Juliette, de Prokofiev, qui sera repris au Théâtre de Chaillot en décembre. Il y a eu aussi la même année la création de Denis Lavaillant, l’opéra O.P.A. Mia, monté par André Engel à Avignon. Réaliser les décors et costumes de La Bohème, de Puccini, mis en scène par Jacques Attali pour Opéra en plein air [qui apporte l’art lyrique dans des lieux patrimoniaux], a surtout été une merveilleuse aventure humaine pour moi dont le travail est habituellement très solitaire.

On ne vous imagine a priori pas dans le domaine de la musique classique…

C’est vrai que mes goûts me portent plus naturellement vers le jazz et le rock et que je vais très peu au concert, préférant écouter la musique chez moi sur des appareils qui répondent à mon exigence en matière de qualité de son. Mais je pense que le rock a cessé d’évoluer, alors que le champ de la musique classique est infini. Il ne cesse de révéler de nouvelles profondeurs au fur et à mesure que l’on s’y intéresse.

Orchestres en fête a prévu une importante programmation Beethoven à la Philharmonie de Paris en lien avec l’exposition « Ludwig Van » qui s’y tient jusqu’au 29 janvier 2017…

Je ne suis pas spécialement amateur de la musique de Beethoven, même si je reconnais en elle une énergie jusqu’alors inédite dans l’histoire de la musique et la fascination qu’il exerce, à l’instar d’un Shakespeare. Je suis plutôt tourné vers l’avenir et j’aime l’idée de désenclaver la musique classique, de décloisonner les genres, comme lorsque la pianiste Vanessa Wagner joue avec Murcof (Satie, Glass, Cage ou Pärt dans l’album Statea, récemment paru chez InFiné) ou que Sting interprète Dowland dans Songs of the Labyrinth. J’aimerais moi aussi être considéré comme un passeur, si modeste soit-il.

Orchestres en fête. Du 18 au 20 novembre. Gratuit ou de 8 à 40 €. orchestresenfete.com