Lors de la présentation de la candidature de Paris aux Jeux Olympiques 2024, le 17 février. | Francois Mori / AP

Pour les JO de Sydney en 2000, le CIO avait lancé « OGGI ». Soit « Olympic Games Global Impact », longue série d’indicateurs pour calculer,ex post et sur une longue durée, les conséquences de l’événement sur l’économie australienne. Les Australiens ont rapidement estimé qu’une ardoise de 25 millions de dollars était trop élevée pour un suivi qui n’intéressait plus grand monde, la plupart des élus concernés ayant changé depuis longtemps. Fin d’OGGI, seule étude officielle sur l’impact des Jeux olympiques. Etienne Thobois dirige la candidature de Paris pour ceux de 2024 et se souvient de celle de la Coupe du monde de rugby de 2007 en France : « 457 millions de retombées et 130 millions de bénéfice net pour un événement modeste par rapport aux JO, c’est plutôt satisfaisant. Nous n’avions rien eu à construire et avions hérité des stades de la Coupe du monde 1998. »

Wladimir Andreff, l’actuel président du conseil scientifique de l’économie du sport, avait justement dirigé cette étude et se rappelle surtout qu’un cabinet de conseil privé « avait prévu près de 8 milliards d’euros d’impact positif avant la compétition ! ». Pour lui, le premier problème, ce sont ces études prévisionnelles poétiques dont les cabinets conseil abreuvent les élus : « Aucun cabinet de conseil ne va voir un maire pour lui montrer qu’il a tort de créer un stade ou de vouloir les JO. Il dit ce que son client veut entendre, quitte à produire des travaux d’une insigne faiblesse intellectuelle, comme l’étude justifiant la candidature de Paris aux JO de 2012. » Les Brésiliens ont ainsi cru que la Coupe du monde de football 2014 leur rapporterait une croissance de 1,8 % et la création de 35 000 emplois. La croissance a été négative en 2014, et les emplois créés, en comptant large, n’ont pas dépassé les 7 000.

La mise en garde du FMI

Les économistes passent pourtant leur temps à mettre en garde les élus. Spécialistes reconnus des retombées des événements sportifs, Robert Baade et Victor Matheson ont brocardé dans une récente étude, publiée en mai dans le Journal of Economics Perspectives, les prévisions optimistes des cabinets de conseil. Car les deux économistes sont formels : « Les Jeux tels qu’ils sont conçus ne sont pas économiquement viables pour la plupart des villes organisatrices. » Même le FMI a mis en garde, par la voix de l’économiste Andrew Stone, sur le fait que ce type d’événement « ne rend pas riche mais heureux ».

Economiste au Smith College, Andrew Zymbalist, artisan de l’abandon de la candidature de Boston pour les JO 2024, va plus loin. « Je n’ai rien contre les Jeux, explique-t-il, mais ce n’est pas aux contribuables de les payer. Si le privé veut les Jeux, qu’il les paie ! Boston est l’une des villes les plus attractives du monde, avec Harvard et le MIT pour l’enseignement et la recherche ; et elle a une industrie de pointe mondialement reconnue dans les technologies du vivant. Pourquoi s’encombrer de Jeux et aggraver le déficit d’un Massachusetts qui n’a même plus de quoi refaire ses routes et ses chemins de fer ? »

Les élus adorent les études d’impact, et les économistes préfèrent les analyses coûts/avantages. Christophe Lepetit, économiste au CDES (Centre de droit et d’économie du sport), a réalisé les études d’impact sur l’Euro 2016 et constate qu’elles « peuvent être très limitées : calcul du chiffre d’affaires rapporté aux investissements, c’est du comptable à court terme. On ne prend jamais en compte les opportunités : investir 1,7 milliard dans la R&D plutôt que dans l’Euro 2016 aurait quelles conséquences ? ».

La bonne question, pour Jean-Jacques Gouguet, directeur des études au CDES, est celle de l’héritage. Quelle trace l’événement laisse-t-il sur le long terme ? Autre chose qu’un grand cimetière d’éléphants blancs, avec pêle-mêle les stades de foot d’Afrique du Sud et du Brésil, les installations olympiques de Pékin, Sotchi ou Athènes ? « Il faut prendre en compte l’utilité sociale des équipements ou des événements, estime Jean-Jacques Gouguet, et calculer les externalités, positives ou non, dans l’éducation, la santé, la citoyenneté, le vivre-ensemble. Un grand événement doit avoir un gain sociétal autant qu’un gain d’image et d’attractivité pour un territoire. »

« A Barcelone, les JO ont été le catalyseur d’une politique publique »

La référence ? Barcelone et ses JO en 1992, qui auraient fait gagner des décennies à la ville et à la Catalogne. « Il fallait rénover la ville et lancer son développement économique à la sortie du franquisme, explique Jean-Jacques Gouguet. Personne n’était d’accord sur la stratégie. Les JO ont mis ville, province et capitale d’accord. Ça a été le catalyseur d’une politique publique. D’un strict point de vue comptable, les JO ont été déficitaires. Economiquement, ils ont permis de faire gagner cinquante ans à Barcelone, tout le monde le sait, même si personne ne l’a analysé scientifiquement. »

Olivier Ginon, le président de GL Events, à l’origine d’événementiels et d’infrastructures dans la plupart des villes olympiques, avance une estimation : « A Rio, pour la Coupe du monde et les Jeux, on a construit un parc expo de 50 hectares de 140 millions. On y fait 50 millions de chiffre d’affaires par an ! Pour les retombées, prenez un Salon comme le Sirha [Salon professionnel consacré à l’hôtellerie et à la restauration et aux métiers de bouche]que nous organisons chaque année à Lyon. Il nous coûte 30 millions et en rapporte 150 à la ville. Même avec un rapport plus modeste, pour le LOU, ce sera deux à trois fois le budget du club en retombées pour la ville. »

Paris 2024

Les économistes seront-ils enfin entendus ? Peut-être. Paris invente par exemple les premiers Jeux « humbles ». « Pour l’impact nous sommes sur trois critères simples, la construction, l’organisation et l’impact touristique direct, commente Etienne Thobois. L’étude réalisée par Jean-Jacques Gouguet et validée par trois économistes assez “JO sceptiques”, Wladimir Andreff, Holger Preuss et Stefan Szymanski, conclut à 10, 7 milliards de retombées positives et 247 000 emplois créés pour l’Ile-de-France. »

La raison ? L’absence de dépenses excessives. « Sotchi, en 2014, a dû installer le tout-à-l’égout, créer des routes et des aéroports, des pistes de ski ex nihilo et 27 000 chambres, continue M. Thobois. Paris a déjà 95 % des installations et suffisamment de transports et d’hôtellerie. Mieux : nous construisons des logements dans une région qui doit en produire 70 000 par an et n’y arrive pas. Nous construisons un village média, non pas que nous ayons besoin de chambres, mais pour servir le développement du territoire de Dugny et du Bourget. »

L’ambition affichée de Paris 2024, c’est la volonté de mettre en valeur les savoirs. « Il ne faut pas sous-estimer la capacité de ces grands projets à mettre les gens autour d’une table et à faire avancer des sujets, ajoute Etienne Thobois. Les 42 points de baignade dans la Seine, le centre aquatique qui traînait depuis des années, le carrefour Lindbergh ou l’écoquartier de Pantin enfin débloqué, les JO y sont pour beaucoup. » Pour une fois, les économistes sont d’accord, et Jean-Jacques Gouguet le démontre : « En France, les Jeux n’auront de sens que s’ils accélèrent le Grand Paris. Autrement Paris n’a pas plus besoin des Jeux que Boston, et il ne faut pas y aller. »

Cet article fait partie d’un supplément réalisé dans le cadre d’un partenariat entre Le Monde et l’agglomération de Thau, qui organisent ensemble, le 18 novembre à Sète-Balaruc-les-Bains (Hérault) le colloque « Quand le sport change la vie ».