Faut-il s’en inquiéter ? Dans le sillage de la victoire de Donald Trump, les taux souverains ont commencé une franche remontée, surveillée de près par les acteurs de marchés. Lundi 14 novembre au matin, le rendement des obligations américaines à dix ans évoluait ainsi autour de 2,22 %, contre 1,36 % à son point bas du 8 juillet. Celui des titres d’emprunt français ressortait à 0,812 %, en hausse de 0,7 point par rapport à juillet, celui du « Bund » allemand, à 0,36 %, alors qu’il avait plongé à – 0,19 % cet été. Et la tendance est la même dans toute l’Europe. « Cette hausse est le signe d’une nouvelle donne sur les marchés de dettes », analyse Philippe Waechter, de Natixis AM.

Motif ? Un contexte plus favorable à l’inflation, d’abord. « La hausse des taux a démarré avant les élections américaines », explique Christopher Dembik, chez Saxo Banque. « Elle est alimentée par la remontée des prix des matières premières, et donc par les perspectives d’inflation plus forte dans le futur. » En effet, une inflation plus élevée allège mécaniquement le poids des dettes. Elle réduit donc d’autant les rendements espérés par les prêteurs. Anticipant ce mouvement, certains investisseurs se détournent des obligations souveraines, ou relèvent les taux auxquels ils prêtent aux Etats.

Un potentiel limité par des forces structurelles

A cela s’ajoute l’élection de M. Trump, qui a promis une hausse des dépenses d’infrastructures et des mesures protectionnistes. « Tout cela pourrait faire monter les prix aux Etats-Unis », note M. Dembik. Même s’il est trop tôt pour dire si le républicain appliquera vraiment ces mesures, cette perspective alimente la hausse générale des taux.

Si elle se poursuit, cette tendance pourrait convaincre la Réserve fédérale américaine, qui se réunit les 13 et 14 décembre, d’accélérer le relèvement de ses taux directeurs. A moins qu’elle ne s’essouffle, car des forces structurelles, telles que la faible productivité ou le vieillissement de la population, limitent la potentielle hausse des prix.

« L’ennui, c’est que, depuis la crise, nous vivons une situation atypique, nuance Frederik Ducrozet, chez Pictet. Les marchés ont été convaincus pendant si longtemps que l’inflation ne remonterait pas, qu’il n’est pas exclu qu’ils sombrent temporairement dans l’excès inverse. » Cela se traduirait par une remontée excessive et irrationnelle des taux pendant quelques semaines, avant un retour à la normale.

Des disparités entre les pays

Une mauvaise nouvelle pour les Etats européens ? « Pas forcément : il faut du temps, au moins un an, pour que la hausse des coûts moyens d’emprunt ait un impact tangible sur les finances publiques », rappelle M. Ducrozet. Tant que les taux restent inférieurs à la croissance, et que leur hausse est progressive, il n’y a pas de risque d’emballement de la dette. Surtout si l’inflation se ressaisit un peu elle aussi, puisque celle-ci érode mécaniquement le poids de l’endettement.

Reste que tous les pays ne sont pas tous logés à la même enseigne. L’Italie et le Portugal, dont les économies sont plus fragiles, seraient moins armés pour faire face à une hausse rapide et durable des taux. Autant dire que les mesures et déclarations à venir de la Banque centrale européenne (BCE) seront déterminantes. Pour éviter que la remontée des rendements américains ne contamine trop celui des Européens, la BCE pourrait annoncer, le 8 décembre, qu’elle augmente ou prolonge ses rachats de dettes publiques.