Les usines du groupe au niveau mondial tournent à plein régime et les dernières capacités disponibles sont en France. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

Cette fois, l’épreuve de force a bel et bien commencé entre la direction et les syndicats. Mardi 15 novembre, le sixième round de négociation du « projet d’accord pour préparer l’avenir de Renault en France » a battu un record de longueur depuis que la série de discussions a débuté, le 22 septembre. Huit heures de palabres à l’issue desquels Renault a cédé devant le front uni des syndicats, retoquant une partie de son projet d’organisation du temps de travail.

La direction a, en effet, renoncé à une proposition de modulation annualisée du temps de travail, qui aurait consisté à faire la balance en fin d’année entre périodes à haut niveau d’activité et périodes basses. « C’était insensé, cela revenait à ne pas payer à la fin du mois les heures supplémentaires », fulmine Fabien Gâche, responsable de la coordination CGT Renault. S’ajoutait à ce principe d’annualisation une obligation de travailler certains samedis lors de pics de production et de rallonger la journée de travail. « Simplement inacceptable », résume Mariette Rih, déléguée syndicale centrale de Force ouvrière.

Signe d’une certaine tension sur les sites de Renault, une intersyndicale CGT-FO-UNSA-CFDT s’était constituée dans l’usine de Flins (Yvelines) et avait appelé à débrayer le 15 novembre pendant la tenue des négociations. Selon la CGT, 300 salariés ont cessé le travail dans la matinée, environ 240 selon la direction, qui précise que « l’activité n’a pas été affectée ». D’autres grèves, moins importantes, ont eu lieu sur les sites de Batilly (Meurthe-et-Moselle), de Cléon (Seine-Maritime) et de Lardy (Essonne).

Fini les samedis obligatoires

Renault a donc cédé : exit la modulation annuelle, fini les samedis obligatoires. Selon la direction, le projet a été modifié pour « concilier le besoin de l’entreprise de s’ajuster aux variations d’activité et les attentes des représentants des salariés en matière de paiement des heures supplémentaires et de volontariat ». « C’est une négociation et elle est en cours, tempère un cadre de Renault, nous ferons le point lorsqu’elle sera terminée. »

Il reste un petit mois et trois réunions pour aboutir le 13 décembre à la signature du futur accord pluriannuel destiné à remplacer sur la période 2017-2019 celui conclu en 2013 avec trois syndicats (CFE-CGC, CFDT, FO). « Nous ne sommes pas dans la même urgence, explique-t-on chez Renault. En 2013, il fallait sortir l’entreprise de graves difficultés, aujourd’hui l’enjeu est tout autre, il s’agit de consolider nos positions et de préparer Renault à ses nouveaux défis. »

Dans ce contexte, le rapport de force est évidemment plus favorable aux syndicats qu’en 2013. De l’aveu même de Carlos Ghosn, les usines du groupe au niveau mondial tournent à plein régime et les dernières capacités disponibles sont… en France. L’usine de Flins accueille désormais la production de la Nissan Micra produite précédemment en Inde. Conséquence : les représentants des salariés ne sont pas près de lâcher facilement des concessions.

« Ce n’est pas suffisant »

Le premier axe de discussion, on l’a vu, concerne l’organisation du travail. Le recul de la direction, s’il est salué par les négociateurs, risque de ne pas suffire. « Il y a des choses positives même si nous n’avons pas atteint le niveau de l’acceptable, notamment sur l’allongement quotidien de la durée du travail », estime Bruno Azière de la CFE-CGC, le premier syndicat de l’entreprise.

Dans la nouvelle proposition, le temps de travail pourra, en effet, toujours être augmenté de façon obligatoire de 1 h 15 par jour (contre 1 h 30 dans la première proposition). Cette possibilité n’est « pas acceptable » pour la CGT ou la CFDT, cette dernière parlant de « ligne rouge » si cela devenait obligatoire. « Aujourd’hui, cela fonctionne très bien dans certains sites sur la base du volontariat », insiste Franck Daout, délégué syndical central CFDT. « Il y a eu des avancées mais ce n’est pas suffisant », renchérit Mariette Rih. « Les conditions de travail sont déjà largement dégradées et ne pourraient alors que se détériorer encore. Les gens vont crever au boulot, ajoute Fabien Gâche. Il y a déjà des alertes de la médecine du travail. »

« Il y a, aujourd’hui, 9 000 intérimaires sur les chaînes de montage, soit autant que d’ouvriers en CDI », Fabien Gâche, délégué syndical

L’autre grand pilier de la négociation, c’est bien évidemment l’emploi. Les syndicats ont le vague sentiment de s’être fait berner lors du premier accord, qui s’engageait sur seulement 800 embauches et prévoyait plus de 7 000 départs. Résultat, au bout de trois ans, Renault aura engagé 3 000 personnes et, selon les syndicats, 9 000 salariés auront quitté le groupe (candidats au départ ou personnes concernées par des mesures d’âge). Surtout, le niveau d’intérim a plus que triplé entre 2013 et 2016. « Il y a, aujourd’hui, 9 000 intérimaires sur les chaînes de montage, affirme Fabien Gâche, soit autant que d’ouvriers en CDI. »

3 000 CDI embauchés d’ici trois ans

Dans ce décor, la direction propose l’embauche de 3 000 salariés en CDI en France d’ici trois ans et la réduction de moitié du taux d’intérimaires. Un objectif jugé insuffisant par certains syndicats. « Nous réclamons, au minimum, 4 500 embauches en CDI, explique Franck Daout, soit 1 500 de plus que la proposition de la direction pour compenser la baisse du niveau d’intérim. » A la CGT, on estime le besoin en effectifs à 14 000 salariés sur trois ans. « Le niveau d’activité d’ici à 2019 est connu, puisqu’il sera sensiblement le même qu’en 2016, argumente Fabien Gâche. Dans ces conditions, les moyens doivent être mis en œuvre. » Tous ses collègues ne sont pas aussi focalisés sur les embauches. Pour FO, ce n’est pas le sujet principal et, à la CFE-CGC, on se refuse à revivre les négociations de 2013, quand il était urgent de réduire les effectifs.

Embauches d’un côté, production de l’autre. Renault s’engagerait pour toute la durée de l’accord à produire en France un volume annuel moyen de véhicules au moins égal à celui de 2016 « avec au moins un nouveau modèle par usine, dont une nouvelle plate-forme à Flins et à Maubeuge », précise la direction. De plus, le groupe s’engagerait à assurer un volume annuel moyen minimum de 1,5 million de moteurs et boîtes de vitesses, et de 1,5 million de châssis. La direction ajoute « à conditions identiques de marché », c’est-à-dire si les ventes du groupe demeurent à un haut niveau, en particulier en Europe.

Au total, Renault promet 500 millions d’euros d’investissement pour moderniser les sites industriels français, en améliorant la performance et l’environnement de travail. Là encore un chiffre qui fait tiquer les syndicats. « Renault n’a rien à vendre et se contente de présenter des dispositions qui pourraient très bien être mises en œuvre sans accord ! », conclut la CGT. Prochaine réunion le 29 novembre.

La chronique Pertes & Profits : Renault ou la réindustrialisation à la française