La centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly (Loiret). | CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

EDF est peut-être un colosse encore plus fragile qu’on ne le croit. Entre les énormes chantiers qu’il doit achever à Flamanville (Manche) ou lancer à Hinkley Point (Grande-Bretagne), la modernisation de ses centrales en fonctionnement, et le démantèlement à venir des vieux réacteurs, l’entreprise publique risque de se retrouver face à une équation financière impossible. Telle est du moins la conclusion de l’étude d’AlphaValue, un cabinet d’analyse financière indépendant, publiée jeudi 17 novembre.

Réalisé à la demande de Greenpeace, qui entend nourrir ainsi sa campagne antinucléaire, et logiquement contesté par EDF, le rapport met le doigt sur trois points sensibles. Trois interrogations qui expliquent en partie les réticences des investisseurs à l’égard de l’entreprise publique. Exclue de l’indice CAC 40 en décembre 2015, l’action EDF a encore perdu 31 % de sa valeur en un an. Le titre, qui avait dépassé un temps 80 euros, s’échange désormais autour de 10 euros.

Le premier point délicat porte sur la valeur des centrales. Contrairement à ses homologues comme Engie ou les allemands E.ON et RWE, EDF n’a pas diminué la valeur comptable de ses principales usines, malgré la chute des prix de l’électricité en Europe, jugée durable par beaucoup. Résultat : rapportée à la puissance en mégawatts de ses installations, « la valorisation des actifs d’EDF est nettement supérieure à celle donnée par ses pairs ». Façon de dire qu’il pourrait devenir nécessaire un jour ou l’autre de passer de lourdes provisions pour réviser cette valeur à la baisse. EDF assure pour sa part que ses prévisions sur les prix de l’énergie à moyen terme ne justifient pas de déprécier les centrales hexagonales.

« Un géant inefficace »

Le deuxième problème concerne les investissements. En incluant Hinkley Point, mais aussi la remise à niveau des centrales, les projets dans les énergies renouvelables, etc., AlphaValue évalue les chiffres entre 16 et 17 milliards d’euros par an ces dix prochaines années. Un montant sensiblement supérieur à l’objectif de 10,5 milliards maximum (hors Hinkley Point) fixé par le PDG Jean-Bernard Lévy à l’horizon 2018. Selon AlphaValue, EDF, « un géant inefficace », « surdimensionné », devenu « non compétitif », aura du mal à financer tout cela.

Le troisième point est le plus critique. Il touche au coût à venir de la déconstruction des centrales et du traitement des déchets nucléaires. Ici aussi, AlphaValue a, malgré des difficultés, comparé les pratiques d’EDF et celles de ses concurrents allemands. Pour le cabinet, la conclusion est sans appel : le groupe « sous-provisionne drastiquement » les coûts en cause. L’écart est énorme. Même en retenant les hypothèses les plus favorables à EDF, les provisions passées par l’entreprise seraient inférieures d’au moins 50 milliards d’euros aux besoins !

Si EDF corrigeait le tir en musclant d’un seul coup ses provisions, cela « entraînerait irrémédiablement sa faillite », anticipe l’auteur de l’étude, Juan Camilo Rodriguez. L’entreprise n’a, à vrai dire, aucune intention en ce sens. Sa direction estime que ses provisions sont idoines. Selon elle, l’écart avec les opérateurs allemands s’explique par les spécificités d’EDF, en particulier son parc nucléaire plus récent et standardisé, ce qui devrait entraîner un démantèlement plus tardif et facile qu’outre-Rhin.

Un mur d’investissement à venir, des actifs surévalués, un passif sous-évalué : d’après Greenpeace, la situation d’EDF est bien pire qu’annoncé. La direction, elle, défend mordicus la sincérité de ses comptes. Le débat est loin d’être clos.