La procureure de la CPI, Fatou Bensouda, ici le 28 janvier 2016, a ouvert en début d’année une enquête sur les crimes commis lors du conflit russo-géorgien de l’été 2008. | PETER DEJONG / AFP

Le président russe, Vladimir Poutine, a décidé, par décret pris le 16 novembre, de retirer la signature de la Russie du traité établissant la Cour pénale internationale (CPI), dont elle était signataire mais qu’elle n’a jamais ratifié – à l’instar des Etats-Unis. « La Russie ne peut être indifférente à l’attitude de la Cour par rapport à la situation d’août 2008 », a déclaré le ministère des affaires étrangères dans un communiqué, en allusion à la brève guerre russo-géorgienne de l’été 2008. Il reproche à la juridiction son manque d’indépendance.

La procureure de la CPI a ouvert, début janvier, une enquête sur les crimes commis durant le conflit de l’été 2008. N’intervenant qu’en cas d’échec des justices nationales, Fatou Bensouda a enclenché la procédure après que Tbilissi lui a indiqué avoir mis fin à ses enquêtes. Côté russe, les procédures étant toujours en cours, la procureure a décidé de ne pas enquêter, dans l’immédiat, sur la mort de soldats russes, mais de se concentrer sur les crimes commis par les milices sud-ossètes et les forces russes. C’est l’argument évoqué par Moscou.

Mais la Russie est aussi visée par un examen préliminaire – une étape préalable à l’enquête – sur l’Ukraine. Pour le directeur d’Amnesty International en Russie, Sergueï Nikitine, cette décision a été prise « quelques heures seulement après que le procureur de la CPI a déclaré que la situation sur le territoire de la Crimée et de Sébastopol pouvait constituer un conflit armé international entre la Russie et l’Ukraine ».

La Russie avait voté en faveur du statut de Rome créant la Cour, adopté en juillet 1998, puis signé deux ans plus tard. Le texte n’avait néanmoins jamais été ratifié. En 2002, le président américain, George W. Bush, avait entrepris une démarche identique, retirant la signature apposée par Bill Clinton à la fin de son mandat. Le Congrès avait ensuite adopté une loi autorisant le chef de l’Etat à user de tous les moyens nécessaires pour libérer le personnel américain éventuellement arrêté par la Cour.

« Ne partez pas ! »

La décision de Moscou, qui a accepté que la Cour soit saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies à deux reprises, sur le Darfour et la Libye, et a coopéré avec l’accusation au tout début du dossier Russie-Géorgie, est-elle dès lors purement symbolique, ou s’engagera-t-elle frontalement contre la Cour ? Son opposition à la juridiction s’est dessinée clairement à la suite des appels lancés en 2013 demandant au Conseil de sécurité de saisir la Cour des crimes commis en Syrie.

Ce nouveau coup dur pour la CPI intervient alors que l’Assemblée annuelle de ses 124 Etats membres débutait mercredi à La Haye, avec pour ordre du jour de « circonscrire la crise » provoquée par le départ, mi-octobre, du Burundi, de l’Afrique du Sud et de la Gambie. « Ne partez pas ! », a imploré le président de l’assemblée, le ministre sénégalais de la justice, Sidiki Kaba, devant un parterre de diplomates, dont les délégués des trois pays déserteurs. Ceux qui l’ont fait « ont été entendus. Comme le sont ceux qui sont restés et veulent aussi une justice égale pour tous, selon que l’on soit un Etat faible ou fort, riche ou pauvre », a-t-il ajouté.

S’il a reconnu une justice de « deux poids deux mesures » dénoncée par nombre de pays africains, le ministre sénégalais a jugé qu’il fallait réformer « le système actuel issu de Yalta », pointant, sans le citer, le veto russe pour les crimes commis en Syrie. « Le droit de veto n’est pas un privilège, mais une lourde responsabilité, il doit être encadré pour les crimes de masse », a déclaré Sidiki Kaba. A la tribune, le ministre de la justice sud-africain, Michael Masutha, a affirmé que « l’Afrique du Sud ne deviendr[ait] pas un havre de paix pour les fugitifs », assurant que la décision ne mettait pas un point final à la coopération de Pretoria avec la Cour. Mercredi, plusieurs Etats africains, qui réclament un changement des statuts allant vers une plus grande protection des chefs d’Etat, confiaient attendre la suite des débats pour décider, ou non, de rester.