Lors d’un concours de beauté des vaches, en février à Verden, en Allemagne. | JULIAN STRATENSCHULTE/AFP

Remplacer, ne serait-ce qu’en partie, dans l’alimentation des vaches, l’ensilage de maïs ou de soja par des grains de lin cuit, riches en oméga 3, de la luzerne ou encore du foin, permet de réduire leurs émissions de méthane et d’augmenter leur production de lait. Si des recherches menées en France avaient déjà démontré qu’en modifiant ainsi le régime alimentaire du bétail, il était possible de réduire leurs émissions de méthane, une nouvelle étude scientifique européenne présentée mardi 15 novembre à Hanovre (Allemagne) au salon de l’élevage EuroTier confirme que quelles que soient la race d’une vache et son alimentation ordinaire, ce mode d’élevage est concluant.

« En apportant des grains de lin cuit, ne serait-ce qu’à hauteur de 5 % de la ration alimentaire d’une vache, on obtient selon les pays une réduction de leurs rots et de leur production de méthane de 10 % à 37 % », souligne Béatrice Dupont, chef de projet au sein de la PME de nutrition animale Valorex qui a piloté l’étude. Ce qui est loin d’être négligeable lorsque l’on sait qu’une vache produisant 30 litres de lait par jour émet en moyenne 150 kg de méthane par an. Et que le méthane est un gaz à effet de serre (GES) 25 fois plus puissant que le CO2. En France, le méthane entérique émis par le bétail représente 7,4 % des émissions totales de gaz à effet de serre, selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique.

Initialement menée dans 16 fermes laitières françaises, l’étude a été étendue à quelque 75 exploitations de 200 vaches en moyenne, réparties dans six pays européens, l’Allemagne, l’Espagne, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark. « Les pays où l’on observe les baisses les plus importantes d’émissions de méthane lorsqu’on rééquilibre leur régime alimentaire sont ceux où les vaches consommaient le moins d’herbe à l’origine dans leur ration alimentaire ordinaire, observe Béatrice Dupont. Ainsi, en Israël, pays sec mais où la production laitière est la plus intensive du monde, avec 44 litres de lait en moyenne par vache et par jour, les animaux ne sont pour ainsi dire nourris qu’avec de l’ensilage de maïs, du soja et des “coproduits”, issus des déchets alimentaires. Introduire notamment des graines de lin cuit dans leur ration alimentaire entraîne une baisse de 34 % de leurs émissions de méthane. »

Si, en France, le recul s’élève en moyenne à 15 % en moyenne par animal, il est de 10 % en Pologne, de 13 % en Grande-Bretagne, 18 % au Danemark, 19 % en Suède, et atteint 20 % en Espagne et 25 % en Allemagne.

Limiter les importations de soja

Les bienfaits de telles pratiques agricoles vont au-delà des économies de méthane, souligne Cyrielle Denhartigh du Réseau action climat : « Varier les apports alimentaires des vaches, les remettre le plus souvent possible à l’herbe permet aussi de réduire les importations d’aliments pour animaux, relève-t-elle. Or ces importations génèrent des émissions de gaz à effet de serre, aujourd’hui non prises en compte dans les calculs officiels, mais qui sont importants. Les importations françaises de tourteaux de soja [aliments fréquemment donnés aux vaches notamment l’hiver] représentent 7,7 millions de tonnes équivalent CO2 par an ! » Cyrielle Denhartigh rappelle que dans le cadre de sa stratégie nationale bas carbone, définie en 2015, la France s’est fixé l’objectif de diviser par deux les émissions de GES de son agriculture.

Les premières recherches sur l’alimentation du bétail ont démarré en France dans les années 2000, lorsque Valorex s’est associé au Centre de l’élevage et à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) pour essayer de trouver une alimentation de substitution à l’ensilage du maïs et de soja, ayant les mêmes propriétés qu’un régime en herbe. « Lorsqu’une vache mange de l’ensilage l’hiver, elle rejette beaucoup plus de méthane que lorsqu’elle mange de l’herbe fraîche l’été. Et ces émissions de méthane constituent une perte énergétique pour l’animal », explique Béatrice Dupont.

Ces travaux de recherche se sont portés notamment sur les grains de lin cuit et ont démontré que cet aliment permettait de réduire de façon significative les rejets de méthane des bovins comme des porcs et des ovins. « Le méthane est formé dans le rumen lors de la fermentation des aliments par des bactéries méthanogènes présentes dans ce compartiment digestif de l’animal. Le lin a cette particularité de contenir beaucoup d’acides gras qui diminuent la concentration de ces bactéries et réduisent ainsi les émissions de méthane », explique Jacques Mourot, de l’INRA, dont les recherches, financées par Valorex, ont débouché sur une méthode permettant, à partir de la teneur en acides gras du lait, de déterminer la réduction des émissions de méthane.

Un lait riche en oméga 3

Brevetée et validée par le ministère du Développement durable en 2011, cette méthode fait partie depuis 2012 du catalogue des Nations unies regroupant toutes les technologies reconnues pour leur efficacité en matière de réduction de gaz à effet de serre. C’est même la seule à ce jour qui soit agréée pour l’élevage.

Aujourd’hui, près de 600 exploitations laitières en France ont recours à cette méthode, dans le cadre d’une démarche promue et soutenue par Bleu-Blanc-Cœur, une association dont l’objectif est d’améliorer la qualité nutritionnelle et environnementale de l’alimentation humaine en améliorant les modes de production agricole. « En modifiant leur ration alimentaire et en privilégiant des aliments comme l’herbe, le lin, la luzerne, riche en acides gras et en oméga 3, les vaches peuvent produire entre 2 et 5 litres de plus par jour, et du lait de qualité », souligne Nathalie Kerhoas, directrice de l’association.

« Les graines de lin cuit nous coûtent 5 % à 6 % de plus qu’un aliment classique, mais grâce à cette alimentation plus équilibrée nos vaches sont en bien meilleure santé », témoigne Jean-Pierre Pasquet, éleveur laitier en Ille-et-Vilaine qui, engagé dans cette démarche depuis quatre ans, se félicite d’avoir moins de frais de vétérinaire pour ses 40 vaches et de gagner en quantité et en qualité sur leur lait. « En 2015, j’ai réduit de 30 % leurs émissions de méthane, soit l’équivalent des émissions en CO2 de 400 000 kilomètres de trajet en voiture », précise-t-il.

En attendant que le marché carbone ne devienne vraiment attractif, Bleu-Blanc-Cœur a pris l’initiative de mobiliser un ensemble de partenaires pour soutenir les éleveurs dans leur démarche écoresponsable et les rétribuer pour les économies de méthane réalisées. En 2015, elle a distribué à 429 éleveurs quelque 157 000 euros, soit 400 euros en moyenne par exploitation.