De l’Afrique, l’auteur de l’album remarqué L’Hiver peul, paru en 2007, n’en avait qu’une expérience lointaine « à travers mes parents, reconnaît-il, les cassettes audio que mon père a enregistrées. Il faut bien le dire : je ne connaissais l’Afrique qu’à travers sa voix. J’avais besoin de la vivre ». A 41 ans, Souleymane Diamanka a décidé de fouler de nouveau le sol de sa terre natale, le Sénégal, quitté à l’âge de 2 ans pour rejoindre en famille son père devenu ouvrier à Bordeaux. Quatre décennies plus tard, en 2015, le poète peul s’installe à Dakar, après avoir fait un détour par Addis-Abeba où a été écrit, composé et mixé son second album Etre humain autrement.

Comme le précédent, cet opus a été confectionné à partir des chants traditionnels que son père avait enregistrés sur cassettes. Car le patriarche, que les aléas de la vie ont mené en France, n’avait qu’une peur : que ses enfants soient déracinés. Et qu’une obsession : leur transmettre leur héritage culturel et patrimonial. Ce qu’il a fait en ne leur parlant qu’en pulaar et, surtout, en enregistrant à chacun de ses voyages au pays des chants traditionnels et des contes. Ses enfants, en retour, lui apprenaient le français.

« Les mots ont ce pouvoir de transformer la réalité »

« Cela a constitué un dictionnaire de vie avec lequel j’ai grandi et j’ai été éduqué, explique Souleymane Diamanka. Car, chez les Peuls, tout repose sur les dictons et les proverbes. Nous donner cette culture-là nous a offert une certaine poésie et une “mentalité” qui pioche dans la terre, l’instinct, l’animal. Ces dictons nous enseignent la résilience et nous assurent qu’il est possible d’arriver à bout de toute grande entreprise. Un proverbe dit : “Ce que ton œil craint, ta main peut l’affronter.” » Cet optimisme et cette confiance en la vie et en l’humanité traversent cet album qui se dessine comme une invitation au voyage et au rêve, portée par de magnifiques chants peuls extraits des archives familiales.

Un espoir que Souleymane Diamanka a souhaité transmettre aux jeunes générations, qu’elles habitent au Sénégal ou dans les quartiers délaissés des cités françaises, où il a grandi. « Les mots avec lesquels on énonce la réussite et le bonheur emplissent le lexique des gens positifs. Tandis qu’en banlieue, dans la culture hip-hop, par exemple, quand on veut exprimer quelque chose de bon, on emploie toujours un vocabulaire négatif. On dit que “c’est mortel”, que “ça déchire”. Mais les mots ont ce pouvoir de transformer la réalité », avance, confiant, celui qui aime rappeler que « la poésie est omniprésente dans notre quotidien, dans les métaphores qu’une mère utilise pour expliquer le monde à son enfant, dans ces expressions qui nous disent que le soleil se lève ou se couche ». Il suffit d’y prêter attention, car « la poésie est un moyen de s’exprimer mais aussi un moyen de voyager pour celui qui la lit ou l’écoute ».

« Poésie parlée »

Avec la complicité du musicien américain Kenny Allen, installé en Ethiopie, Souleymane Diamanka a isolé à la manière d’un sample la voix de son père (« Jali fuladunajo ») ou des chants a capella (« Enclenchez le cycle ») enregistrés dans le Fouladou, en Haute-Casamance, là même où il a vu le jour en 1974. Le son particulier des cassettes a été conservé, épaississant de toute son authenticité les compositions urbaines et percutantes de l’Américain. « Cette rencontre n’a pas été que musicale, explique Souleymane Diamanka. Kenny s’est installé sur le continent car c’est un Américain à la recherche de ses racines africaines. Travailler ensemble à ce projet, avec ce patrimoine qui nous est offert, c’était comme si nous partions à la rencontre des ancêtres. »

Muse Amoureuse - SOULEYMANE DIAMANKA
Durée : 03:17

Le phrasé de l’artiste, qui pratique ce qu’il appelle de « la poésie parlée », pourrait paraître monotone s’il n’était empli de cette flamme bienveillante qui confère à sa voix grave une envoûtante chaleur. En bon circassien qu’il est, Souleymane Diamanka – qui collectionne les collaborations bienheureuses avec les Nubians, Grand Corps Malade… – est parvenu à jongler avec aisance avec ses différents univers musicaux (peul, slam, hip-hop…), ses identités multiples, française et sénégalaise, bordelaise et peule. Et si finalement, c’était cela « être humain autrement » ? Incarner le rêve de Frantz Fanon et « tout simplement être un homme parmi d’autres hommes… être homme, rien qu’homme ».

Etre humain autrement, de Souleymane Diamanka (Soul Eye Man/E.A.R.S. Studio), disponible sur http://www.souleymanediamanka.net/. Versions CD et vinyle prévues pour 2017.