Fabien Delpiano, co-organisateur d’IndieCade Europe. | Pastagames

Souvent décrit comme le « Sundance du jeu vidéo », l’IndieCade s’installe dans la capitale française vendredi 18 et samedi 19 novembre. Après une première et éphémère aventure anglaise, ce salon célèbre aux Etats-Unis, consacré au jeu vidéo indépendant, revient en Europe et pose ses valises au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) de Paris. Avec, cette fois, la ferme intention d’y rester.

L’IndieCade original, celui de Californie, est l’un des salons de jeux vidéo les plus réputés du monde. Mais loin de la démesure de la Gamescom de Cologne, du clinquant de l’E3 de Los Angeles, ou de la très commerciale Paris Games Week, l’IndieCade fait la part belle aux petits studios, aux créateurs de renom, et aux installations expérimentales. L’occasion de rencontrer ceux qui conçoivent le jeu vidéo, et de s’essayer à des jeux visibles nulle part ailleurs.

En traversant l’Atlantique pour venir s’installer au CNAM, l’événement amène avec lui certaines des figures les plus renommées du jeu vidéo « arty ». Parmi les têtes d’affiche, on compte ainsi Matt Nava (Journey), Anna Kipnis (Broken Age), Zoe Quinn (Depression Quest, Framed), Luke Crane (Kickstarter), Rami Ismail (Nuclear Throne) et le local de l’étape, Michel Ancel (Rayman). Pixels, partenaire de l’événement, a interviewé Fabien Delpiano, président de Capital Games (association de développeurs franciliens) et co-organisateur de l’IndieCade Europe.

IndieCade Europe 2016
Durée : 01:19

Le Los Angeles Times a dit que l’IndieCade était « le Sundance du jeu vidéo », en référence à ce célèbre festival du cinéma indépendant. Est-ce que ça fait de vous le Robert Redford du jeu vidéo ?

Fabien Delpiano : (Rires) Moi je n’ai été qu’une des personnes qui ont essayé de faire exister en France un événement qui existait déjà sans nous.

C’est-à-dire ?

Ça s’est fait en plein d’étapes. Le tout début de l’histoire, c’est Thierry Platon [développeur sur le jeu 2Dark, prévu pour début 2017], avec qui j’organisais les European Indie Games Days depuis quelques années, qui avait invité Stephanie Barish, la créatrice de l’IndieCade. Elle était venue en tant que conférencière, et nous a demandé ce qu’on penserait d’un IndieCade européen. On a dit que ce serait vachement chouette ! Mais ce sont d’abord resté des mots en l’air.

Plus tard, elle nous recontacte pour nous dire qu’elle est de passage à Paris pour tenter de faire avancer le projet : « Je suis en train d’essayer de monter ci et ça, je discute avec untel, mais je ne suis pas sûr qu’on se comprenne... Vous êtes compliqués les Français ! » Thierry me suggère, avec Capital Games, d’aider Stephanie à faire exister ce truc-là. Le conseil d’administration m’a dit « pourquoi pas », la région a accepté de nous aider. Et comme c’est une destination qui plaît bien aux Américains, ils se sont dit, pourquoi pas à Paris !

On compare l’IndieCade à Sundance parce qu’au-delà de la question de l’indépendance, les deux événements assument un côté « arty ». C’est aussi le cas à l’IndieCade Europe ?

On a essayé de ramener toutes les couleurs de l’arc-en-ciel des indépendants, des jeux bizarres, underground, arty, des jeux qui ne se vendront jamais parce que ce sont des installations qui demandent trois jours de montage. Mais à l’autre extrémité du spectre, on voulait aussi avoir des gens comme Michel Ancel [le créateur de Rayman pour Ubisoft] qui font des jeux indépendants avec Sony, avec des moyens plus conséquents.

Et, au milieu de ça, tous les petits indés français, tous les étudiants encore à école, tous les gens qui ont des projets qu’ils montent avec trois francs six sous, des gens qui font des jeux pour PC ou pour smartphones, gratuits ou payants, etc. Autant que faire se peut, des gens qui partagent au quotidien les mêmes préoccupations, pour qu’ils puissent échanger.

A qui s’adresse l’IndieCade ?

Le cœur de cible, ce sont les gens qui fabriquent des jeux indépendants, petits, moyens ou gros, pour qu’ils se rencontrent, qu’ils se parlent. Mais aussi les gens qui ont envie de connaître ceux qui les font, ou qui aimeraient bien en faire eux-mêmes. Après, l’IndieCade est ouvert à tous les gens qui ont envie de découvrir le jeu vidéo sous un angle différent, un peu en dehors des sentiers battus.

Une quarantaine de jeux indépendants sont jouables à l’IndieCade Europe. | IndieCade

Une personne qui ne connaîtrait pas le jeu vidéo indépendant peut s’y essayer ?

C’est le cœur de l’événement : on peut jouer à beaucoup de jeux qui ne pourraient pas exister autrement. Il y a beaucoup d’installations, de jeux événementiels, avec des casques de réalité virtuelle, des installations complexes, des objets connectés... Historiquement, l’Indiecade c’est aussi l’occasion pour des jeux qui ont du mal à exister sans préparation préalable de trouver un lieu.

Des indés qui font des petits jeux commerciaux à ceux qui font des installations artistiques, en passant par Michel Ancel qui a son indépendance artistique au sein de gros studios, la notion d’indépendance est un peu floue. Peut-on plutôt parler d’un rassemblement de « jeux d’auteur » ?

A la base, il y a l’idée que ce sont des jeux qui ne sont pas faits avec comme matériaux de base une licence, une cible marketing, un positionnement commercial. Des jeux réalisés par des studios qui ne sont pas des filiales d’un éditeur. C’est la définition qui nous a permis de dire oui ou non à certaines personnes qui voulaient venir. On s’est longtemps posé la question de savoir si Amplitude [studio parisien racheté cet été par Sega] ou Media Molecule [studio anglais racheté par Sony en 2010] étaient éligibles ou pas. La frontière est extrêmement ténue. Pour Stephanie Barish, que ce soit « indé », c’est quelque chose d’important, et quand on a proposé des invités, il a fallu qu’on justifie si oui ou non, ils l’étaient selon ces critères.

On a l’impression que les indés français, et a fortiori parisiens, ont beaucoup de mal à exister. Est-ce que l’IndieCade Europe a vocation à les faire connaître, comme sa version américaine a contribué au rayonnement de vos homologues californiens ?

C’est exactement le but. Tous les développeurs indépendants dans le monde se demandent comment exister aux Etats-Unis, qui représentent 50 % du marché. Oui, clairement, le but c’est aussi de bâtir des ponts, en termes de communication, entre l’Europe et les Etats-Unis.