L’épingle à nourrice devient un symbole de la défense des victimes de racisme, de sexisme, d’homophobie ou d’islamophobie. Ici une manifestation contre Trump à New York, le 12 novembre. | Kena Betancur/AFP

Dans les jours qui ont suivi la victoire de Donald Trump, un homme a porté plainte après avoir reçu des lettres anonymes promettant de débarrasser son quartier de Natick (Massachusetts) de sa population noire. « On a nettoyé la Maison Blanche de ses nègres », se félicitait une autre missive. Une enquête a été ouverte. À Los Angeles, en Californie, un enseignant a été suspendu quarante-huit heures après l’élection du milliardaire. Il avait assuré à une élève de sixième d’origine hispanique que ses parents allaient être expulsés et qu’elle se retrouverait dans une famille d’accueil. La maire d’une petite ville de Virginie occidentale a publiquement « liké » le message Facebook d’un fonctionnaire de son administration se réjouissant de l’arrivée de Melania Trump, « une magnifique et digne First lady » à la Maison Blanche, en lieu et place d’« un singe en talons », Michelle Obama. Face au tollé, l’élue a démissionné le 15 novembre.

À travers le pays, des slogans suprématistes sont apparus sur les murs d’écoles, de gymnases, de mosquées ou d’églises. « Trump nation. Whites only », ont découvert les fidèles d’une église protestante hispanique à Silver Spring (Maryland), dimanche 13 novembre. Au lendemain de l’élection, un responsable éducatif de la région de Baltimore (Maryland) qui avait invité les enseignants du comté à témoigner de « l’amour et de la protection à leurs élèves musulmans, noirs, latinos, juifs, handicapés » a reçu des injures sur Twitter et a dû justifier son propos.

Le souffle d’un vent mauvais

Les plus optimistes veulent voir dans ces histoires d’intolérance et de harcèlement à l’encontre des minorités visées à longueur de campagne par le président élu des incidents isolés, alimentés par l’euphorie malsaine d’une victoire inattendue. D’autres s’inquiètent pourtant du vent mauvais que l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis fait souffler sur le pays. Le FBI a annoncé lundi que les « actes de haine » avaient augmenté de 6 % entre 2014 et 2015, soulignant une hausse spectaculaire des incidents antimusulmans (+ 67 %).

Depuis dix jours, l’Amérique inquiète de la victoire du candidat républicain et de ses conséquences tente donc de se faire entendre et de s’organiser. Dimanche, dans leur premier discours dominical postélectoral, nombre de responsables chrétiens ont défendu l’accueil et la protection des immigrés. Des épingles à nourrice ont surgi au revers des vestes et des tee-shirts. S’inspirant des effets post-Brexit au Royaume-Uni, ceux qui portent ces safety pins s’engagent à prendre la défense de personnes victimes de racisme, de sexisme, d’homophobie ou d’islamophobie. Dans une station du métro de New York, un artiste a installé la « Subway Therapy », une catharsis collective pour évacuer le stress ressenti depuis l’élection de Trump. Sur des Post-it multicolores, collés sur le mur de la station, des milliers de personnes écrivent un message d’amour, de peur ou d’espoir, promettent de « résister » ou d’agir.

Apparue à l’initiative d’un artiste, la « Subway Therapy » consiste à coller des Post-itexprimant ses sentiments depuis l’élection sur les murs d’une station du métro new-yorkais. | Drew Angerer/Getty Images/AFP

Autre symbole d’une Amérique divisée et pleine de méfiance à l’égard du président élu, la ville de Chicago a affirmé qu’elle comptait devenir un « sanctuaire » pour les immigrés clandestins, une position également adoptée par Los Angeles, New York, Seattle ou San Francisco, alors que le président élu a confirmé qu’il comptait expulser « 2 à 3 millions » de sans-papiers ayant eu maille à partir avec la justice. Le maire de Chicago, Rahm Emanuel, a assuré « à tous les enfants et à toutes les familles dont la situation est incertaine à cause de ce qu’il s’est passé mardi [8 novembre] » qu’ils étaient « en sécurité et soutenus dans la ville de Chicago ». Les villes engagées dans ce mouvement refuseront d’emprisonner les sans-papiers lorsque leur détention aura pour but de les expulser, tandis qu’ils bénéficieront des services publics, quel que soit leur statut légal. Des organisations de défense des immigrés, notamment hispaniques, ont annoncé qu’elles réfléchissaient à des séances de soutien psychologique et aux moyens de réagir en cas d’arrestations.

Une « période de deuil »

Un vent de détresse a aussi soufflé sur la communauté homosexuelle et transsexuelle. Les responsables des lignes téléphoniques de prévention du suicide à la disposition de ces personnes indiquent avoir enregistré une hausse inédite du nombre d’appels dans les jours qui ont suivi l’élection. Si Donald Trump a assuré, dans le premier entretien réalisé après sa victoire, qu’il n’était pas personnellement favorable à une remise en cause du mariage homosexuel, légalisé au niveau fédéral par la Cour suprême en 2015, il a en revanche confirmé sa volonté d’y nommer un juge à même de faire pencher l’institution du côté des conservateurs.

Unis par le désarroi ou par la colère, des dizaines de milliers de manifestants ont aussi arpenté les rues de plusieurs grandes villes des États-Unis pendant plusieurs jours, clamant que Trump n’était « pas leur président ». Au fil des jours, le mouvement de rue s’est un peu essoufflé, mais les mécontents se sont donné rendez-vous le 20 janvier, jour de l’entrée en fonctions de Donald Trump à la Maison Blanche.

Pour autant, cette « période de deuil », ainsi que beaucoup la décrivent, n’a pas débouché sur des revendications précises. L’initiative la plus significative repose sur la conviction, résumée par le réalisateur et militant Michael Moore, que Donald Trump est « un président illégitime ». Alors qu’Hillary Clinton a gagné le vote populaire, totalisant au moins 1 million de voix de plus que son adversaire, une pétition signée par plusieurs millions de personnes demande que le collège électoral (les grands électeurs), qui va se réunir le 19 décembre, vote conformément au choix de la majorité des Américains qui se sont déplacés le 8 novembre. Une demande qui a peu de chance d’aboutir. Le système électoral américain est pour l’heure immuable. Même s’il constitue « un désastre pour la démocratie », comme le soulignait… Donald Trump en 2012.