Le ministère de l'économie et des finances, à Paris. | LAURENT HUET / AFP

Les « pigeons », le retour ? La fronde des patrons de start-up et des business angels  – ces investisseurs qui mettent de l’argent dans l’économie innovante – qui avait enflammé les réseaux sociaux en 2012 et forcé Bercy à s’asseoir sur son projet de hausse de la taxation des plus-values de cession, a peu de chance de se reproduire à cinq mois de l’échéance présidentielle. « Nos sujets ne sont pas au cœur de la campagne », reconnaît Jean-David Chamboredon, président du fonds ISAI et coprésident de France Digitale, le lobby des entreprises du numérique.

Il n’empêche. Alors que le gouvernement devait présenter, vendredi 18 novembre en conseil des ministres, le « compte PME innovation », un véhicule censé inciter les entrepreneurs à réinvestir dans une affaire après avoir vendu la précédente, la grogne monte parmi les dirigeants de start-up et leurs pourvoyeurs de fonds.

Soufflé par les représentants de l’économie numérique, le dispositif retenu par Bercy s’avère bien moins avantageux qu’espéré. « C’est une montagne qui accouche d’une souris », se désole M. Chamboredon. Conçu au moment des Assises de l’entrepreunariat en 2013, un temps espéré dans le cadre de la loi Noé d’Emmanuel Macron au printemps, le projet a finalement été repris, bon gré mal gré, par le ministre de l’économie Michel Sapin dans le cadre de la loi de finances rectificative. Initialement intitulé « compte entrepreneur-investisseur », le dispositif part d’un constat : l’importante fiscalité sur les plus-values réalisées lors de la revente d’une entreprise freinerait la réallocation des sommes vers de nouvelles affaires. Or, la notion de réinvestissement de la part des entrepreneurs à succès est au cœur de la dynamique de l’« écosystème » numérique.

Les seuils fixés sont trop élevés

« Aujourd’hui, un entrepreneur qui vend sa société à 35 ou 40 ans paie en moyenne 35 % d’impôts sur ses plus-values de cession de titres. La moyenne européenne se situe plutôt autour de 20 %-25 % », indique Bruno Erard, avocat associé au cabinet Ayache Salama.

Pour remédier à cette situation, le véhicule mis en place par Bercy doit permettre aux salariés ou dirigeants détenant, ou ayant détenu, au moins 10 % de leur entreprise, et aux actionnaires à partir de 25 %, d’échapper temporairement à l’imposition sur les plus-values de cession. Pour cela, ils doivent financer, à travers ce compte, des PME de moins des sept ans, des entreprises innovantes de moins de dix ans, ou encore des fonds fermés d’entrepreneurs (les fameux business angels). « Il s’agit vraiment de favoriser le développement des start-up, et non de créer un nouveau fonds de défiscalisation », insiste-t-on à Bercy. Problème : pour les intéressés, les seuils fixés sont trop élevés.

« L’intention est louable, la réalisation proposée décevante. Les seuils excluent de facto les business angels », rétorque l’un d’entre eux, Renaud Guillerm, qui a monté le club Side Capital. « Tel qu’il est proposé, le dispositif ne va même pas me concerner. En général, je détiens 1 %, 2 % ou 3 % de la société, pas 25 % », abonde Didier Kuhn, dénicheur de jeunes pousses prometteuses depuis qu’il a cédé sa première start-up à Microsoft il y a une petite décennie. En cinq ans, l’entrepreneur a investi dans une vingtaine de sociétés, parmi lesquelles le site de location de voiture entre particulier Drivy et le champion du covoiturage Blablacar.

Douche froide

Deuxième inconvénient, aux yeux des entrepreneurs : contrairement à la mouture de M. Macron, le texte proposé ne comporte pas d’exonération d’impôt sur la fortune (ISF). L’idée initiale était d’exclure de l’assiette de cet impôt le produit de la vente de titres, tant qu’il reste au sein du compte. « Cela ne nous a pas semblé souhaitable », élude-t-on à Bercy. « En l’état, ce texte n’aura aucun impact sur l’exil fiscal : si je revends ma boîte le 30 octobre, il faudra toujours que j’aie déguerpi au 1er janvier », assène M. Chamboredon.

Enfin, la question de l’implication personnelle de l’entrepreneur ou de l’investisseur dans la société financée – il devra occuper un poste-clé de direction ou signer une convention d’accompagnement – fait tiquer les intéressés. Dans les faits, les business angels ne prodiguent leurs conseils que de manière informelle.

Le projet remanié de Bercy est pourtant censé amadouer une majorité parlementaire peu encline, ces temps-ci, à signer des blancs-seings au gouvernement. Mais pour les entrepreneurs de la tech, il tombe mal. Le revirement des députés sur la fiscalité des actions gratuites, alourdie en octobre alors que la loi Macron d’août 2015 l’avait allégée, a fait l’effet d’une douche froide.

Le texte doit être débattu en décembre au Parlement

La faute au salaire du patron de Renault, Carlos Ghosn, constitué en majorité de ce type d’actions. « On vient de voter des plans d’actions gratuites pour plusieurs start-up. On va pouvoir tout mettre à la poubelle. Pour empêcher un Carlos Ghosn qui profite du système, on détruit un mécanisme qui s’applique à des milliers d’entrepreneurs », déplore M. Kuhn. « Aujourd’hui, quand je fais un investissement, si j’ai de la chance, je ferai une plus-value dans dix ans. Sur cette plus-value, entre l’impôt sur le revenu, la CSG [contribution sociale généralisée], la CRDS [contribution pour le remboursement de la dette sociale], etc., je paie 60 % de taxation. C’est un coup de massue pour un investissement très aléatoire, et sur lequel je ne touche rien pendant dix ans ! »

« En l’état, ce dispositif risque fort de finir comme d’autres mesures censées doper l’investissement : en n’étant que très peu, voire pas utilisé », estime M. Erard. Le texte doit être débattu en décembre au Parlement.