Pour la dernière fois, samedi 19 novembre, les R18 d’Audi vont prendre le départ des 6 Heures de Bahreïn, ultime manche du championnat du monde d’endurance (WEC en anglais). Pour la première fois depuis seize ans, elles ne s’aligneront pas, au printemps, aux 24 Heures du Mans dont elles ont gagné 13 des 16 dernières éditions. Le constructeur allemand a en effet surpris le petit monde de la course automobile en annonçant, fin octobre, son retrait de la compétition dès la fin de 2016.

« Cela a été très rapide. On travaillait déjà sur l’année prochaine », confie Valérie Girard, secrétaire général de l’Automobile club de l’Ouest (ACO), l’organisateur des 24 Heures. « C’est un peu brutal », admet son président, Pierre Fillon. Le président d’Audi Motorsport, Wolfgang Ullrich, l’a appelé le 24 octobre pour le prévenir. « J’ai ressenti beaucoup de tristesse. Cela met fin à une très belle histoire, dit le frère du candidat à la primaire de la droite. Audi a contribué à bâtir ce qu’est l’endurance aujourd’hui et, avec l’ACO, le championnat du monde qui va avec. » Même réaction du côté du président du WEC, Gérard Neveu : « Bien évidemment, nous regrettons ce départ d’un acteur majeur du WEC. Audi a marqué ces quinze dernières années en endurance. »

Le « dieselgate » en toile de fond

Une aventure ponctuée d’avancées technologiques exceptionnelles. « L’injection directe, les phares lasers, l’hybride », Pierre Fillon égrène les termes techniques avec nostalgie. La R18 e-tron quattro a été la première hybride diesel/électrique à partir en pole position, c’était aux 6 Heures de Spa en 2012.

Quatre ans plus tard, c’est terminé. Le plus dur pour le président de l’ACO ? « L’annoncer à mes collaborateurs », puis réunir toute l’équipe. « On pensait avoir [Audi] jusqu’en 2017. » Pourquoi une telle précipitation ? Au Mans, « on n’est pas dupe ». Tout le monde pense au « dieselgate », l’affaire des moteurs « truqués » qui minimisaient, lors des tests, les émissions polluantes des voitures vendues aux Etats-Unis. Dans les coulisses du Mans, on assure que la décision d’Audi est liée aux 15,3 milliards de dollars (14,3 milliards d’euros) que le groupe Volkswagen Audi (VAG) s’est engagé à verser pour dédommager les conducteurs américains touchés – 14,7 milliards de dollars d’indemnisation et 603 millions de dollars versés aux Etats locaux pour stopper les poursuites. « La voiture 2017 était prête », répète un collaborateur de l’ACO pour s’en persuader.

La décision peut paraître financièrement symbolique si l’on compare ces 14,3 milliards d’euros au budget d’Audi Sport pour l’endurance, évalué à 300 millions d’euros annuels. « La facture est tellement élevée que VAG est obligée de rogner sur tous les postes », pense-t-on à l’ACO. Le retrait surprise de Volkswagen du championnat du monde des rallyes, annoncé le 2 novembre, tendrait à montrer que VAG met toutes ses marques à contribution.

Selon le quotidien populaire allemand Bild du 6 novembre, l’autorité californienne de protection de l’environnement a découvert un nouveau logiciel sur des Audi automatiques capable de modifier leur taux d’émissions polluantes lors de tests. Trois jours plus tard, on apprend que le président du conseil de surveillance d’Audi, Hans Dieter Pötsch, est visé par une enquête pour avoir volontairement informé en retard les marchés des risques d’un « dieselgate ». « Les programmes de changement de vitesse automatique peuvent entraîner des résultats incorrects » lors des tests, admet Volkswagen, le 13 novembre.

« C’est une question d’argent, mais c’est aussi une question d’image », tranche Pierre Fillon. A l’image sale et polluée du diesel, le groupe aux douze marques veut substituer celle, plus propre et séduisante, de la fée électricité. D’où l’annonce concomitante de recentrer l’activité d’Audi Motorsport sur la formule E, le championnat de monoplaces électriques. « Si nos véhicules de série deviennent de plus en plus électriques, alors les voitures de sport Audi doivent devenir à plus forte raison les fers de lance technologiques » de ce changement, justifie Rupert Stadler, le patron d’Audi.

Le groupe Volkswagen a d’ailleurs annoncé un plan historique de réduction des coûts, le plus important depuis des décennies et va également investir 3,5 milliards d’euros dans la voiture électrique.

Audi est déjà présent en FE, en tant que partenaire de Shaeffer et Abt Sport, qui alignent deux voitures, dont une a remporté le premier ePrix de Paris, le 23 avril. L’organisation de la deuxième manche du championnat électrique 2016-2017 à Marrakech, le 13 novembre – en pleine COP22, où la marque allemande a installé un stand –, a été une formidable opportunité pour la marque de redorer son blason. Côté finances, la FE est la moins coûteuse des compétitions, à 7 millions d’euros en moyenne par saison pour une écurie. « Franchement, s’ils arrivent à donner à leurs voitures un vrai look de formule 1, je suis persuadé que la FE, c’est l’avenir », assure-t-on chez Audi.

Une chance pour les pilotes qui courent les deux championnats, FE et WEC, en alternance, comme Lucas Di Grassi et Loïc Duval. Mais tous ne partagent pas ce point de vue. « Moi, la formule E, ça ne m’intéresse pas du tout. Ce n’est pas de mon âge », lance Benoît Tréluyer, triple vainqueur au Mans et champion du monde en 2012. A 40 ans, sous contrat jusqu’à fin 2017, il va peut-être continuer à rouler en Audi, lors du Trophée Andros (sur glace), puis en GT (Grand Tourisme, voitures de série) la saison prochaine. Quant au Mans… « Je n’en dors plus depuis deux jours, confiait le pilote français à l’AFP le 28 octobre. Je ne pense pas. Quand on a gagné au Mans, après avoir fait tant d’efforts, je ne sais pas si on peut y retourner juste pour le plaisir. »

Au total, 370 personnes sont employées chez Audi Sport. « Il faut s’assurer que ceux qui n’auront aucune fonction chez Audi Sport pourront trouver quelque chose chez Audi », diagnostique le « Docteur » Ullrich, 66 ans, dont la retraite initialement prévue début 2017 a été repoussée à la fin de l’année. « C’était prévu depuis un certain temps, commente celui qui a mené le développement de tout le programme d’endurance d’Audi depuis 1999. La chose positive est que nous avons maintenant un an pour construire la façon dont va être orienté le futur d’Audi Sport. » La direction sportive d’Audi Sport sera assurée par Dieter Gass dès la fin de 2016, à la suite d’une réorganisation au sein de l’organigramme sportif du constructeur.

Ce départ, c’est un cycle qui se termine pour l’endurance. Lancé en 2011, le championnat du monde passe sa première crise d’adolescence. Audi laisse le champ libre à sa cousine Porsche, dont les 919 Hybrid engagées en LMP1 (prototypes hybrides) sont à moteur hybride essence – et non hybride diesel, là est toute la différence. « Lorsque Porsche a effectué son retour dans le WEC en 2014 [après seize ans d’absence], on a été presque surpris que le groupe maintienne deux marques », explique Pierre Fillon. 

Porsche et Toyota sont désormais seuls en lice pour la saison 2017 dans la catégorie reine. Mais le WEC ne se court pas qu’en prototypes hybrides essence. « Le WEC, c’est une grille de 32 voitures, 20 teams, avec 4 catégories et 6 constructeurs engagés », relève Gérard Neveu, parmi lesquelles, en GT, les prestigieuses Ferrari, Porsche, Alpine, Aston Martin, Ford et BMW qui effectue son retour. « Un constructeur s’en va, d’autres arrivent bientôt, c’est la vie d’un championnat », estime le patron du WEC.

Des moteurs à hydrogène en 2021

Ainsi, Peugeot, parti brutalement lui aussi début 2012, s’est dit « très intéressé » par l’endurance « si les coûts sont raisonnables », a précisé Carlos Tavarès, le patron de PSA. Ce ne sera pas avant 2018 – une participation nécessite quarante-huit mois de préparation. D’autres équipes privées auraient des projets, mais personne ne parle pour le moment.

Du côté de la fédération internationale de l’automobile et d’ACO, on réfléchit aux évolutions du règlement qui rendront l’endurance plus attractive. En clair, diminuer les coûts pour les compétiteurs. Les ingénieurs des deux structures travaillent, eux, sur l’utilisation d’autres énergies à partir de 2021, un moteur électrique qui fonctionnerait avec de l’hydrogène, grâce à des piles à combustible. « Et cela, en termes de CO2, c’est formidable, souligne Pierre Fillon. Si vous fabriquez l’hydrogène avec de l’énergie solaire, vous avez un bilan carbonne qui est nul. Les énergies fossiles génèrent du gaz carbonique et nuisent à l’environnement. Il faut travailler sur les énergies propres. » Ce n’est pas Audi qui dira le contraire.