Des manifestants stoppent la voiture de l’ancien gouverneur de Rio, Sergio Cabral, jeudi 16 novembre. | RICARDO MORAES / REUTERS

Daniela Correia Dos Santos est restée deux semaines à l’hôpital au lieu d’une. « Le jour de l’opération, les médecins ne pouvaient pas m’opérer. Il n’y avait pas le matériel nécessaire », explique-t-elle, jeudi 17 novembre, à la sortie de l’établissement. Quand elle a commencé à vomir, la jeune mère, qui souffre de calculs à la vésicule biliaire, a fini par être prise en charge. Son amie Edit, venue lui rendre visite, a dû se charger de faire un brin de ménage dans sa chambre. « Tout était sale. Il n’y avait rien. Pas même de papier toilette ! », raconte cette dernière.

Ainsi va le quotidien de l’hôpital Carlos-Chagas à Rio de Janeiro, où tout manque, y compris le sparadrap. Victime directe de la ruine de l’Etat de Rio, l’hôpital assure ne refuser aucun patient. Mais Marcelo da Silva Gomes, coordinateur des services administratifs, reconnaît : « On travaille avec notre cœur. » Comme tous les fonctionnaires, il n’a pas touché son salaire du mois d’octobre et se prépare à recevoir celui de novembre en sept tranches.

« Une honte », souffle le docteur Jorge Darze, président du syndicat des médecins de Rio. « L’Etat n’a pas seulement une responsabilité financière. Il devrait être accusé d’homicide involontaire ! », s’emporte-t-il, évoquant des pénuries de traitement de chimiothérapie dans certains centres autrefois réputés.

« Calamité publique »

Avec un déficit estimé à 17,5 milliards de reais (4,9 milliards d’euros) cette année, l’Etat fluminense est au bord de la faillite. Après plusieurs impayés, l’agence de notation Standard & Poor’s a placé en septembre l’Etat en statut de « défaut sélectif ».

Rio, comme plus d’une dizaine d’Etats brésiliens, fait les frais de la profonde récession dans laquelle a plongé le pays en 2015. Les faillites d’entreprises et le chômage ont fait chuter les recettes fiscales. Mais nulle part la situation n’est aussi dramatique qu’à Rio. L’Etat, hier, dopé par la rente pétrolière, a vu fondre de 69 % entre 2013 et 2016 ses royalties, affectées par le plongeon du prix du baril. Les déboires de l’entreprise publique Petrobras, au centre d’un scandale de corruption tentaculaire, ont aggravé un peu plus le panorama d’un Etat où plus de 10 % du produit intérieur brut est lié à la major. S’y ajoute la gestion jugée dispendieuse d’un gouvernement régional étourdi par la Coupe du monde de 2014 et les Jeux olympiques de l’été 2016. Une gestion « mégalomane », insiste le docteur Jorge Darze, évoquant la construction de divers centres de santé, quand l’entretien des établissements existants laisse à désirer.

Acculé, le gouverneur Luiz Fernando Pezao, du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), a placé l’Etat en statut de « calamité publique », appelant Brasilia à l’aide avant de mettre au vote de l’Assemblée de Rio vingt-deux mesures d’austérité. Un dispositif surnommé le « pacote maldade » (le « maudit paquet ») par des fonctionnaires révoltés. Parmi les décisions figure l’augmentation de 11 % à 14 % des cotisations de retraite, l’un des principaux postes de dépense, ainsi que des réductions de salaire ou la suppression de programmes sociaux.

Guerre fiscale

Cette potion amère a jeté dans la rue des milliers de fonctionnaires, mercredi 16 novembre, réunissant policiers, pompiers, professeurs et médecins devant l’Assemblée de Rio. « Le gouvernement a accordé des millions d’exemptions fiscales pour les entreprises et aujourd’hui on rebouche le trou qu’il a creusé ! », enrage Carlos Augusto Nogueira, un ancien employé dans le domaine de la sécurité, aujourd’hui retraité. « On paie pour l’orgie du gouvernement », appuie Sergio Luis Quintanilha, professeur de biologie, dénonçant la corruption généralisée des politiques et les soupçons de surfacturation des chantiers d’infrastructures mis en œuvre ces dernières années. Payé à peine 1 200 reais par mois, soit moins qu’une employée domestique, le jeune professeur ne cache pas son écœurement.

« Je comprends l’insatisfaction, souffle Gustavo Barbosa, le secrétaire aux finances de l’Etat, mais nous n’avons plus d’alternative. » Et celui-ci d’évoquer le déséquilibre entre actifs et inactifs, qui grève le système de retraites, tout en justifiant les exemptions fiscales offertes aux entreprises au nom de l’emploi. La ruine de Rio a mis à nu les failles du système de financement des Etats brésiliens, où règne une guerre fiscale sans merci. Chacun des 27 districts fédéraux se livrant à une surenchère de ristournes pour appâter les grands groupes et échapper à une inexorable désindustrialisation.

En cas d’approbation de l’intégralité du plan de rigueur, les comptes de l’Etat pourraient sortir du rouge. Mais, affolée par la grogne populaire, l’Assemblée de Rio a déjà retoqué une mesure phare qui consistait à imposer une ponction exceptionnelle de 16 % sur les salaires pour abonder le système de retraites. Déconfit, M. Barbosa semble n’avoir aucun plan « B ».

De fait, le scandale politique s’immisce dans la crise économique. L’arrestation spectaculaire, jeudi 16 novembre, de l’ancien gouverneur de Rio de Janeiro, Sergio Cabral (PMDB), en poste de 2007 à 2014, accusé de détournement de fonds de plus de 220 millions de reais, laisse penser que l’Etat serait, au moins en partie, victime des méfaits d’une classe politique aussi irresponsable qu’indécente.

Peu imaginent que l’actuel gouverneur, M. Pezao, qui fut l’ancien vice-président de l’inculpé, ait pu ignorer ces agissements frauduleux. A Rio plane ainsi le sentiment que la résolution de la crise financière passera d’abord par un nettoyage politique.