Fabien Lefèvre lors des Mondiaux 2013 avec l’équipe des Etats-Unis. | MICHAL CIZEK / AFP

Double médaillé olympique en kayak (bronze en 2004 et argent en 2008) avec la France, Fabien Lefèvre a débuté en 2013 une nouvelle vie aux Etats-Unis après un échec à se qualifier aux Jeux de Londres. Installé à Washington, il n’a pas tardé à se mettre en avant pour sa nouvelle nation en décrochant un premier titre mondial individuel en canoë (C1) en 2014, le troisième de sa carrière en solo après ceux obtenus en K1 en 2002 et en 2003.

Alors qu’il n’a pas pu tenter de se qualifier pour les Jeux de Rio – il n’a pas encore la nationalité américaine et n’était donc pas éligible selon les règles du Comité international olympique (CIO) – le champion soutient la candidature de Los Angeles pour l’organisation des Jeux de 2024. La ville californienne est la principale concurrente à la candidature parisienne. Mardi dernier, Los Angeles, Paris et Budapest ont d’ailleurs passé leur premier grand oral devant les membres des comités olympiques nationaux à Doha. Fabien Lefèvre évoque son soutien et en profite pour comparer ses deux pays, la France et les Etats-Unis.

Pourquoi soutenez-vous la candidature de Los Angeles ?

Depuis trois ans que j’habite à Washington, je me sens vraiment américain de par ma mentalité, de par mon style de vie, de par mes ambitions et mon relationnel. J’ai vraiment la sensation d’appartenir à un pays qui me correspond et dont l’investissement dans le sport est très important. Dans mon activité professionnelle de coach privé, je vois des gens qui se lèvent à 5 h 30 du matin pour faire du sport avant le travail. Le sport est partie intégrante de la vie américaine. Le sens de la compétition et le fighting spirit [« esprit de compétition »] sont omniprésents.

Avec 400 millions d’habitants, si tu veux intégrer l’élite, il faut être meilleur que tous les autres. L’athlétisme, la gymnastique ou la natation sont ultraconcurrentiel. Tu peux être sûr que derrière, l’équipe qui va aux JO va envoyer très fort. Cela se reflète sur l’état d’esprit de la Team USA, qui a d’ailleurs encore une fois été très impressionnante dans ses résultats aux derniers Jeux de Rio.

Je me sens très à l’aise avec ça et je n’ai donc pas hésité lorsque l’on m’a demandé de m’investir dans la candidature de Los Angeles. En tant que spécialiste de mon sport, j’interviens notamment par rapport à la construction du stade d’eau vive. Et je fais également partie de la liste des 50 athlètes qui soutiennent la candidature aux côtés de champions, comme Michael Phelps, Michael Jordan, Cathy Ledecky ou encore Allyson Felix. C’est un honneur pour moi d’avoir été sollicité.

Avez-vous pu vous rendre sur place ?

J’ai rencontré toutes les équipes du comité de candidature à Los Angeles. L’accueil a été superbe alors que je n’ai pas encore participé aux JO pour les Etats-Unis. J’ai ressenti un fort dynamisme. Je suis admiratif de l’esprit patriotique qui est insufflé dès que tu sors de l’aéroport. Il y a des drapeaux américains partout, tout est fait pour que tu te sentes bien d’appartenir à ce pays.

Pensez-vous que l’élection de Donald Trump puisse avoir un effet négatif sur le futur choix ?

Je ne connais pas assez les rouages du CIO. Je ne sais pas si la politique d’une nation a une influence sur les candidatures, le choix d’une ville pour un programme olympique. En toute honnêteté, je ne sais pas si l’élection d’un président plus qu’un autre, comme celle qui aura lieu en France l’an prochain, pourrait influencer le résultat.

Quelle principale différence voyez-vous entre les deux candidatures et entre les deux systèmes sportifs ?

Elle se situe dans la manière dont est piloté leur comité olympique respectif. En France, ce sont des gens qui font partie des fédérations sportives, qui ensuite rendent service. Aux Etats-Unis, le président du comité olympique est un PDG. On a d’un côté une approche de service public, de l’autre une approche du secteur privé. Cela va influer sur la manière dont les candidatures vont être présentées et managées.

Le sport est financé de manière privée aux Etats-Unis, pas de manière étatique. La pratique du sport est complètement différente, tout comme l’approche aussi. Dès le plus jeune âge, les familles sont habituées à beaucoup investir sur leurs enfants pour qu’ils puissent avoir accès aux sports. Cela concerne prioritairement les sports professionnels qui attirent car le retour sur investissement est possible en cas de réussite. Les autres sports, plus mineurs, se font plus par tradition de famille, par région qui bénéficie de telle ou telle condition ou également par le modèle d’un champion qui inspire les générations suivantes.

Ne craignez-vous pas que certains en France critiquent votre choix ?

Vous savez, en 2013, j’ai senti certaines jalousies et subi des reproches par rapport à mon départ. Ce n’est pas un problème pour moi. La patrie, c’est là où l’on se sent bien. J’ai eu la chance de bénéficier des côtés positifs de l’éducation française mais je n’ai plus l’impression d’appartenir à cette nation, essentiellement par rapport à la mentalité. Par exemple, si quelqu’un m’interroge sur mes objectifs, je ne vais pas tenir un discours convenu : « Vous savez c’est dur, il y a de la concurrence et la compétition est difficile. » J’ai une approche ambitieuse, basée sur l’humain, et ça commençait à me peser en France. J’ai fait des médailles pendant dix ans, j’ai bien fait mon travail, les gens ont compté sur moi et j’ai rempli mon contrat. La France m’a donné, j’ai donné à la France, point.

Si jamais Los Angeles échoue, vous soutiendrez Paris ?

En cas de défaite de Los Angeles, je pense que Paris semble avoir une candidature bien ficelée, avec un très bon engouement populaire. J’ai la sensation que les gens se mobilisent pour que Paris ait les Jeux.

Aviez-vous été partie prenante de la candidature parisienne pour 2012 ?

Je n’avais jamais participé aux précédents comités parisiens. J’ai relayé sur les réseaux sociaux mais je n’avais pas été sollicité plus concrètement.

Los Angeles 2024 semble un horizon trop lointain pour vous en tant qu’athlète. Qu’en est-il de Tokyo en 2020 ?

J’ai repris l’entraînement en mai dernier, plus par plaisir et besoin d’aller naviguer. Je me suis aperçu que j’avais toujours cette flamme et cette motivation. Les sensations sont rapidement revenues, comme le goût de la compétition. J’ai gagné en octobre les championnats US devant l’un des sélectionnés olympiques. Mon prochain objectif sera les Mondiaux à Pau (l’an prochain) où j’ai effectué une grande partie de ma carrière française. Les JO de Tokyo restent un objectif dans un coin de ma tête. D’ici là, j’aurai la nationalité. Comme on dit ici : « No clouds on my way. »