Les candidats à l’élection présidentielle autrichienne, Norbert Hofer (extrême droite) et Alexander Van der Bellen (écologiste) se sont croisés lors d’un show aérien, le 3 septembre. | ERWIN SCHERIAU / AFP

Le gouvernement autrichien va demander au Parlement de reporter le second tour de l’élection présidentielle prévu le 2 octobre, au 4 décermbre, en raison d’un défaut de fabrication des bulletins de vote, a annoncé lundi 12 septembre le ministre de l’intérieur, Wolfgang Sobotka. Plusieurs municipalités et électeurs se sont en effet plaints d’avoir reçu des cartes électorales endommagées.

Ce « troisième tour » opposera Norbert Hofer du FPÖ (extrême droite) au candidat indépendant soutenu par les écologistes Alexander van der Bellen, vainqueur sur le fil du second tour en mai avec 50,3 % des voix mais dont l’élection a été invalidée.

Fiasco démocratique

Conscient de l’image déplorable que ce fiasco démocratique renvoie de l’Autriche en Europe et dans le monde, le ministre de l’intérieur conservateur n’a pas manqué de s’étonner d’un « problème technique » survenant dans un contexte déjà extrêmement tendu. D’autant que l’entreprise chargée de produire les bulletins de vote par correspondance avait déjà été sous contrat pour le gouvernement à l’occasion de sept élections nationales et de neuf scrutins régionaux. Vendredi 9 septembre, la police autrichienne a été chargée d’enquêter. Elle devra déterminer si un acte de malveillance a été commis.

Le ministre de l’intérieur n’a pas non plus tenté de masquer son impuissance totale face à un chaos inédit dans l’Union européenne. En Autriche, une élection peut être reportée uniquement en cas de décès de l’un des candidats. Il faut donc créer de toutes pièces un texte parlementaire prenant en compte le cas de figure actuel. Ce point précis explique pourquoi le ministère autrichien n’est pas capable, actuellement, de promettre que les élections auront bien lieu en 2016.

Panneaux électoraux dans les rue de Vienne lundi 12 septembre. | Ronald Zak / AP

« Considérations tactiques »

Ce report place l’Autriche dans une inquiétante et inédite incertitude politique, alors que l’enjeu est d’élire le premier président d’extrême droite en Europe depuis 1945. Le nombre de chantiers politiques qui s’ouvre est vertigineux. Depuis l’invalidation du deuxième tour par la Cour constitutionnelle, des dizaines de milliers d’électeurs sont morts et autant d’autres ont obtenu l’âge de voter.

Qu’il décide de réviser les listes électorales ou de n’y rien toucher, le gouvernement sera accusé de manipulations par l’extrême droite. Le week-end dernier, elle avait déjà critiqué des « considérations tactiques » derrière la volonté du ministère de l’intérieur de retarder le scrutin de plusieurs longues semaines.

Elle réclamait le remplacement des bulletins par correspondance dont les enveloppes sont défectueuses et le maintien du scrutin le 2 octobre, comme cela avait été fait pour le vote à une élection locale, dans le 2arrondissement de Vienne, où un incident similaire s’était produit.

« Pourquoi ne fait-on pas la même chose ? Pourquoi a-t-on intérêt à un scrutin aussi tardif ? », s’est interrogé Norbert Hofer. Selon le ministère de l’intérieur, il est impossible de remplacer les bulletins incriminés à une échelle aussi importante sans prendre le risque de voir le scrutin de nouveau invalidé par la Cour suprême, une nouvelle fois saisie par un FPÖ faisant remonter par ses électeurs les irrégularités constatées grâce aux réseaux sociaux.

Une légitimité présidentielle affaiblie

Conscient de ces enjeux potentiellement explosifs, le ministre de l’intérieur Wolfgang Sobotka a pris soin de consulter les présidents des groupes parlementaires des six partis présents au Parlement dimanche, pour consultation. Il promet d’échanger avec les deux candidats en lice et d’associer le parti FPÖ à chaque prise de décision ; ce qui augure de batailles parlementaires susceptibles de renvoyer le scrutin à 2017.

Toutefois, ce report n’est pas forcément défavorable au FPÖ sur tous les points : le gouvernement a affirmé qu’il ne prendrait pas plus de 37 500 demandeurs d’asile en charge en 2016. Il s’apprête à suspendre le droit des migrants de déposer un dossier sur son territoire, car le quota sera bientôt atteint. Ce sujet, qui divise les électeurs, pourrait se révéler crucial durant la campagne à venir et pourrait créer une ambiance favorable à l’extrême droite.

Le président autrichien, quel qu’il soit, aura été mal élu, dans des conditions rocambolesques. Sa légitimité démocratique sera faible, dans un pays jadis parmi les plus stables du continent et aujourd’hui polarisé entre le camp nationaliste conservateur et celui des sociaux-libéraux. Deux familles politiques, désormais soupçonneuses, qui se regardent en chien de faïence.

Présidentielle en Autriche : un « sursaut citoyen »
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Images : Pierre Trouvé