« On a tout entendu : que la Francophonie, c’est la France, donc qu’on était les valets des Français. Mais aussi que le pays était trop pauvre pour organiser le sommet ; qu’il n’y aurait pas de retombées, et finalement, que celui-ci se tiendrait, mais au Canada ! » Mamy Rajaobelina rit des rumeurs qui ont émaillé la préparation du Sommet de la francophonie, qui se tiendra à Madagascar les samedi 26 et dimanche 27 novembre. Un défi logistique exceptionnel pour un pays qui sort tout juste d’une profonde crise politique et économique et qui suscite suspicions et moqueries.

Au deuxième sous-sol d’un bâtiment gouvernemental d’Antananarivo, le délégué de la présidence chargé de l’organisation de l’événement affiche une confiance à toute épreuve. A quelques jours de l’ouverture, il est 20 heures passés et ses collaborateurs sont toujours affairés, dans une ambiance de start-up. « On va recevoir tout le monde dignement, assure t-il. Bien sûr, ce sera selon les moyens de Madagascar. On n’est pas la Suisse. »

« Concert des nations fréquentables »

Avec ce sommet, Madagascar entend prendre une revanche. L’île devait déjà accueillir les chefs d’Etat de pays francophones en 2010. Mais, après le coup d’Etat de 2009 et sa suspension de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), c’est Montreux, en Suisse, qui s’est substitué au dernier moment à la capitale malgache. S’en sont suivies quatre années de crise, marquées par une lente transition politique, et un fort déclassement économique provoqué par le retrait des bailleurs de fonds. « Maintenant que nous avons un régime avec un président élu au suffrage universel [depuis 2014], c’est le moment de marquer notre retour dans le concert des nations fréquentables », déclare Rajaobelina.

L’Organisation de la francophonie partage cet optimisme. Michaëlle Jean, la secrétaire générale, a terminé le 3 novembre une visite de plusieurs jours dans la capitale pour s’assurer de l’avancement des préparatifs. « Je sais que les Malgaches vont nous surprendre ! », a t-elle déclaré à la presse locale.

L’enjeu logistique est de taille : 3 000 personnes et plus d’une quarantaine de chefs d’Etat sont attendus sur les 80 pays que compte l’OIF. Pour la première fois, le roi du Maroc, Mohammed VI, fera le déplacement, à la tête de la plus grosse délégation, qui comptera 300 personnes. Celui-ci a un lien particulier avec la « Grande Ile » : ses père et grand-père, les rois Hassan II et Mohammed V, y furent déportés par l’administration coloniale française.

La sécurité reste la plus grande source d’inquiétude. Mardi, le jour de l’arrivée de l’ancienne gouverneure générale du Canada à Antananarivo, une explosion sur le chantier d’un hôtel de luxe a fait deux blessés. « Un incident », a minimisé Michaëlle Jean. Un acte qui n’est toutefois pas isolé : lors de la fête nationale, le 26 juin, une bombe artisanale remplie de billes métalliques avait explosé lors d’un concert gratuit au stade de Mahamasina. Bilan : 3 morts, dont un nourrisson, et 84 blessés. Le président, Hery Rajaonarimampianina, était sorti quelques instants seulement avant l’explosion.

Pour assurer la sécurité de l’événement, ce sont donc 5 000 policiers qui seront déployés dans la capitale, ce qui est sans précédent à Madagascar. La France, le Canada et le Maroc vont prêter main-forte. « Lorsqu’un sommet se tient dans un pays du Sud, tous les pays viennent prêter assistance », explique le représentant de l’OIF pour l’océan Indien, l’ambassadeur burkinabé Malik Sarr.

« Tribune extraordinaire »

Au niveau des infrastructures prévues pour le sommet, il reconnaît « avoir été inquiet il y a quelques mois. Mais pour avoir vécu le sommet de Kinshasa en 2012, où jusqu’à la dernière minute on ne savait pas si François Hollande viendrait, ça va ! », rassure-t-il. D’après les autorités, tout est prêt. Le centre de conférences, prévu à l’origine pour le sommet de 2010, et l’hôtel Sheraton, dont l’étendue des finitions alimentent encore les spéculations, viennent tout juste d’être livrés.

Le gouvernement a aussi dû revoir à la baisse ses ambitions. Début octobre, le panneau géant qui annonçait un méga-complexe (hotel, centre commercial, salles de conférence, cinéma) pour le Village de la francophonie, a finalement été démonté. Celui-ci n’aurait pas été achevé à temps. Plus modestes, les pavillons qui accueilleront les stands de chaque pays, eux, ont été livrés le 11 novembre.

Egalement achevés, deux tronçons de routes qui doivent relier l’aéroport à la ville, et permettre à terme un désengorgement de la capitale où la circulation est infernale. La construction de cette « autoroute de la francophonie », qui a nécessité, d’après la presse locale, l’expropriation de 700 personnes, a provoqué des remous. « Certaines familles ont dû s’endetter pour louer un logement de fortune en attendant une indemnisation qui ne vient toujours pas », confie Danièle Hahn-Godart, la responsable d’un centre pour enfants situé à quelques centaines de mètres, dans le quartier déshérité d’Ankasina.

Or ces expropriés comptent bien se faire entendre. Et ce ne sont pas les seuls. A Madagascar, où l’instabilité politique est la règle, l’opposition, qui tente de se structurer contre le président, s’est montrée virulente sur le bien-fondé d’un tel sommet. Certaines ambassades voient dans les actes de violence, comme celui du 26 juin, des manœuvres politiques. « Si quelqu’un veut se faire remarquer, si quelqu’un veut marquer un coup pour tenter de déstabiliser un peu plus le régime actuel, ce sommet est une tribune extraordinaire », s’inquiète un diplomate en poste à Antananarivo.