Documentaire sur Arte à 20 H 45

Presidential guard secure the area as Turkey's President Recep Tayyip Erdogan, center, visits before thousands of students and citizens walk to the mausoleum to remember the nation's founding father Mustafa Kemal Ataturk on the 78th anniversary of his death, in Ankara, Turkey, Thursday, Nov. 10, 2016.(AP Photo/Burhan Ozbilici) | Burhan Ozbilici / AP

Le paradoxe en dit long : lorsque Recep Tayyip Erdogan se revendiquait ­démocrate et défenseur des libertés, la plupart des responsables occidentaux le snobaient. Aujourd’hui que le président turc vire au despote, on se montre tolérant. Ainsi, Angela Merkel, crise des migrants oblige, s’est rendue en Turquie ces dix derniers mois autant de fois que lors des dix années précédentes !

Dans le cadre de la soirée « Thema » consacrée à la Turquie, Gilles Cayatte et Guillaume Perrier signent un documentaire bien construit et très instructif sur le président turc. Un personnage complexe, habile, dangereux, qu’ils tentent de percer à jour à l’aide de témoignages (journalistes, psychiatre, politiciens) et d’images d’archives, dont certaines datent de la fin des années 1970, lorsque le jeune islamiste enflammé haranguait déjà la foule.

Depuis son enfance modeste jusqu’au sommet de l’Etat, en passant par la mairie d’Istanbul et le poste de premier ministre, la trajectoire d’Erdogan, jeune militant sanguin passé de sauveur de la nation à fossoyeur de la démocratie, est décortiquée. En 1996, il avait comparé la démocratie à un… tramway. Autrement dit, la démocratie est un moyen, pas un but : une fois arrivé au terminus, on en descend.

Coup d’état, arrestations massives,démantèlement de l’Etat de droit - tout-est-il sous le contrôle Recep Tayyip Erdogan en Turquie ? Quelle est la fiabilité du pays pour l’UE et l’OTAN ?.Istanbul date non précisée. | © Alegria

Outre l’entretien exclusif avec Fethullah Gülen, son ancien allié devenu ennemi juré, l’un des aspects les plus intéressants de ce film concerne les relations conflictuelles entre Erdogan et l’armée – depuis la naissance de la République turque, en 1923, celle-ci y tient un rôle central. En février 1997, un coup d’Etat militaire entraîne une vaste purge dans les milieux islamistes. Déchu de son mandat de maire, Erdogan passera trois mois en prison. De là naîtra, selon les auteurs, une rancune tenace contre les militaires.

En sortant de prison, il trace une ligne qui le mènera au pouvoir : conservateur mais aussi réfor­mateur, partisan déclaré d’une ­adhésion à l’Union européenne. En 2001, Erdogan fonde l’AKP (Parti de la justice et du développement). Un an et demi plus tard, le voilà élu premier ministre d’un pays qui subit une grave crise ­économique. En s’appuyant sur l’Europe, il promet de ramener la stabilité. Son premier mandat est considéré comme réussi. Mais à partir du deuxième, en 2007, purges, affaires de corruption, menaces et emprisonnements arbitraires se multiplient. « Quand vous faites vivre un mensonge à la place d’une réalité, c’est alors que vous vous rapprochez du despotisme », analyse un psychiatre turc.

« Formidable animal politique »

« Ce n’est pas un intellectuel, mais un formidable animal politique. Il anticipe les menaces et les risques », résume un journaliste. Entre l’épineuse situation des Kurdes (la guerre civile a fait 45 000 morts depuis 1984), les attentats sur le sol turc, la guerre en Syrie, la grogne de l’armée, la crise des migrants, l’apparition d’une opposition politique coriace avec le HDP (Parti démocratique des peuples), dirigé par le jeune avocat d’origine kurde Selahattin Demirtas, le destin politique d’Erdogan semble instable.

Combien de temps va-t-il continuer à régner ? Son troisième et dernier mandat arrive à son terme. Pour rester au pouvoir, le président Erdogan joue avec le chaos. Pour l’instant, il a balayé tous les obstacles que la démocratie met sur le chemin du despotisme.

Erdogan, l’ivresse du pouvoir, de Gilles Cayatte et Guillaume Perrier (Fr., 2016, 60 min).