« Chef du gouvernement, 62 ans, cherche majorité. Urgent. » Déjà quarante-cinq jours se sont écoulés depuis que le roi a désigné, le 10 octobre, Abdelilah Benkirane comme chef du gouvernement. Grand vainqueur des législatives du 7 octobre, le chef du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) ne parvient pas à constituer de majorité.

Avec 125 députés, son parti a progressé par rapport aux législatives de 2011, mais il reste loin de la majorité nécessaire pour gouverner seul, à savoir 198 sièges sur 395. Pour l’instant, deux partis ont donné leur accord de principe à M. Benkirane pour travailler avec le PJD : l’Istiqlal (national-conservateur, 46 sièges) et le Parti du progrès et du socialisme (PPS, gauche, 12 sièges). Mais ces deux alliés ne suffisent pas non plus à atteindre la majorité. Il faut donc au premier ministre un quatrième partenaire.

Numéro deux

Benkirane a dit n’exclure a priori des négociations que le Parti authenticité et modernité (PAM) d’Ilyas Al-Omari. Deuxième force du Parlement avec 102 sièges, cet attelage hétéroclite de notables et d’ex-gauchistes, considéré comme proche du palais royal, a été le principal adversaire du PJD lors des dernières législatives.

La formation d’une majorité passe désormais par le Rassemblement national des indépendants (RNI, libéral), que dirige Aziz Akhannouch. Ministre de l’agriculture dans le précédent gouvernement, il a été élu le 29 octobre à la tête de ce parti qui faisait déjà partie de la précédente coalition gouvernementale. Mais cette fois, M. Akhannouch poserait des conditions jugées « inacceptables » par M. Benkirane, notamment l’exclusion de l’Istiqlal. La presse proche des islamistes va jusqu’à dénoncer « un coup d’Etat contre la volonté populaire ».

L’objectif du RNI, qui dispose de 37 sièges dans la nouvelle chambre, est d’être suffisamment fort pour pouvoir peser au sein d’une future majorité. Pour cela, il a, ces dernières semaines, constitué autour de lui un bloc de trois partis : le Mouvement populaire (27 sièges), l’Union constitutionnelle (19 sièges) et l’Union socialiste des forces populaires (20 sièges). Un tel bloc au gouvernement installerait M. Akhannouch comme un numéro deux de fait, ce qu’Abdelilah Benkirane refuse, tout en cherchant un compromis avec « son » actuel ministre.

Si Abdelilah Benkirane échoue à former une majorité, il devra « rendre les clés » au roi, comme il l’a confié à la presse. La Constitution prévoit seulement que le roi « nomme le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants, et au vu de leurs résultats » (article 47). Elle ne dit rien du cas où il échoue. Plusieurs options s’ouvriraient alors : nommer une autre personnalité du PJD à la tête du gouvernement ; charger un autre parti de mener les tractations ; organiser des législatives anticipées. Mais toutes sont politiquement délicates. La solution la plus pratique serait un accord entre MM. Akhannouch et Benkirane.

Omniprésent lors de la COP22

En 2012, il n’avait fallu « que » trente-quatre jours à Abdelilah Benkirane, vainqueur des législatives de novembre 2011, pour installer son cabinet. Le leader islamiste et Mohammed VI ne se connaissaient pas mais tout s’était passé en bonne intelligence : l’arrivée tranquille au pouvoir des islamistes venait accréditer la fameuse « exception marocaine » dans une région troublée.

Cette lune de miel entre les islamistes et le palais n’a pas duré. La popularité de M. Benkirane est restée intacte après cinq années à la tête du gouvernement. Sa cohabitation s’est rapidement durcie avec le premier cercle royal, dont Fouad Ali Al-Himma, le plus puissant des conseillers du roi. Le 6 novembre, de Dakar où il était en visite officielle, Mohammed VI a adressé un avertissement au chef du gouvernement désigné :

« Le Maroc a besoin d’un gouvernement sérieux et responsable. Toutefois, la formation du prochain gouvernement ne doit pas être une affaire d’arithmétique […] comme s’il était question de partager un butin électoral. »

M. Akhannouch était l’un des rares ministres accompagnant le roi à Dakar. Tout comme il était omniprésent à Marrakech durant la COP22, accueillant les hôtes de marque du roi, à leur arrivée à l’aéroport, là où Benkirane était introuvable. Le blocage actuel ne se dénouera pas avant le retour de Mohammed VI, qui a repris sa tournée africaine, en Ethiopie puis à Madagascar, où il assistera au Sommet de la francophonie, les 26 et 27 novembre.