La récente course à l’onction pontificale entre François Fillon et Alain Juppé, inédite sous la Ve République entre des prétendants à la présidence de la République, illustre le poids pris par le vote des catholiques. Ou du moins la place qu’il occupe dans le discours des deux candidats qualifiés pour le second tour de la primaire de la droite et du centre, prévu dimanche 27 novembre. Cécile Chambraud, chargée des questions religieuses au Monde a répondu aux questions des internautes.

Olivier : Pourquoi insister sur leur rapport au catholicisme ? N’y a-t-il pas des éléments plus importants à discuter sur leur programme ? Voire même sur leur orientation idéologique ?

Cécile Chambraud : Vous êtes plusieurs à partager l’interrogation d’Olivier. Avant de s’interroger sur le rapport au catholicisme, nous nous sommes d’abord intéressés aux électeurs que ces deux candidats cherchaient à convaincre. François Fillon avait la particularité d’avoir reçu le soutien de Sens commun, une formation de 9 000 militants issus des manifestations contre la loi Taubira qui a choisi en 2013 d’intégrer l’UMP, puis Les Républicains. Leur but est d’influencer les programmes des candidats de ce parti. En septembre, ils ont apporté leur soutien à François Fillon. Leur activisme sur Internet et au moment des « manifs pour tous » en a fait d’efficaces militants de terrain. Et à n’en pas douter, ils ont pesé dans la bataille interne au parti Les Républicains. Evidemment, Le Monde s’est intéressé aussi longuement à tous les autres aspects des programmes des candidats.

Valmont : Je ne comprends pas pourquoi, alors que depuis des mois, la droite invoque la laïcité à longueur de discours, à tort et à travers, pour faire sortir l’islam de l’espace public jusqu’à l’overdose, on en vient aujourd’hui à discuter du rapport des deux finalistes au catholicisme… Il y a quand même comme une légère contradiction, on parle de la présidentielle d’une République laïque, non ?

La droite comme la gauche sont divisées à propos de la laïcité. Par exemple, François Fillon et Alain Juppé ont une position opposée sur le burkini. Le premier voudrait une loi qui l’interdise, pas le second. C’est d’ailleurs un peu paradoxal pour M. Fillon qui, lui, a toujours le souci de ne pas restreindre la capacité des religions à s’exprimer dans l’espace public. Ils sont en revanche tous les deux hostiles à l’interdiction du voile à l’université, à l’inverse de Nicolas Sarkozy. A gauche, on trouve aussi des partisans d’une laïcité plus intransigeante et d’autres plus souples. On peut penser que lors de la primaire à gauche, les questions de religions et de laïcité seront aussi dans le débat.

Paul. A. : Peut-on dire que idéologiquement Alain Juppé est plus proche du pape François et François Fillon de Benoît XVI ?

Ce ne pas à nous de répondre à cela : l’adverbe « idéologiquement » n’est peut-être pas adapté. Peut-être pourrait-on vous éclairer en rappelant quelques-unes des positions régulièrement défendues par le pape François :

  • l’accueil des étrangers, qu’ils soient réfugiés ou migrants
  • le caractère injuste du système économique mondial, qui pour lui produit structurellement de la pauvreté, des inégalités et la crise écologique.
  • le refus de l’avortement
  • la supériorité du pardon sur le jugement ; c’est au nom de cette idée qu’il a refusé de juger les homosexuels
  • enfin, la nécessité pour l’Eglise d’être en phase avec le monde tel qu’il est, notamment pour ce qui est de la famille.

Pak : La Manif pour tous, soutenue par le clergé, représentait au bas mot 350 000 manifestants (hypothèse basse de la police), quasiment toutes de droite. Or Jean Frédéric Poisson n’a fait que 60 000 voix. Peut-on en conclure que François Fillon a également siphonné les voix de Jean Frédéric Poisson ?

Il y a effectivement eu un débat au sein de la frange la plus politisée issue de La Manif pour tous. Certains pensaient qu’il fallait voter pour Jean-Frédéric Poisson, dont ils considéraient les positions comme les plus proches des leurs. D’autres, dont le mouvement Sens commun, ont pensé qu’il serait plus efficace de rallier un candidat peut-être moins proche d’eux, mais qui avait des chances de l’emporter. Le choix était de savoir s’il était plus efficace de faire pression de l’intérieur (Fillon) ou de l’extérieur (Poisson).

Emilia : Qu’est-ce que la religion vient faire dans un débat politique en 2016 ? Suis-je revenue dans le passé ?

Cela fait des années que les questions religieuses sont au cœur du débat politique. Pour ce qui est du catholicisme, La Manif pour tous a été un moment-clé de réengagement en politique des catholiques les plus motivés. Donc prenez votre « mal » en patience, car ce débat n’est pas près de s’éteindre…

Joachim : Fillon ne représente-t-il pas la France catholique de la moitié Nord, et Juppé la France plus laïque de la moitié Sud ?

Les résultats du premier tour de la primaire montrent que le Sarthois François Fillon a obtenu ses meilleurs scores dans les zones d’influence traditionnelles du catholicisme, au premier rang desquelles la Bretagne et les Pays de la Loire. Alain Juppé, originaire des Landes et maire de Bordeaux, trouve ses points d’ancrage les plus forts dans le Sud-Ouest aquitain.

Nakhle : Que compte faire François fillon pour protéger les chrétiens d’Orient ?

François Fillon a déclaré qu’il souhaitait réorienter l’action de la France au Proche-Orient. Pour lutter contre l’organisation Etat islamique, il veut s’appuyer davantage sur la Russie et sur l’Iran. Quitte à se retrouver du côté du régime syrien de Bachar Al-Assad.

Sylvestre : Existe-t-il des relais politiques au sein de l’épiscopat français, ou bien celui-ci s’astreint-il à une neutralité ?

Les évêques français sont loin de se désintéresser de la présidentielle puisqu’ils ont publié en octobre une longue lettre aux Français. Ils y font part de leur inquiétude sur l’état de la société, sont sévères avec la responsabilité des politiques dans cette situation, et appellent à « retrouver le sens du politique ». L’épiscopat ne s’est évidemment pas prononcé en faveur de tel ou tel candidat de la primaire de la droite. Au moment des manifestations contre la loi Taubira, les évêques avaient fait part de leur opposition au mariage pour tous. Une partie d’entre eux avait activement soutenu les manifestations, au point, pour certains d’entre eux, d’y prendre part. D’autres, en revanche, s’étaient inquiétés d’une trop grande implication de l’Eglise dans un affrontement politique.

Offering : N’y a-t-il pas un risque, illustré peut-être pas les précédentes questions, que M. Juppé ne s’aliène l’électorat « laïc » en portant la campagne vers les thématiques chrétiennes, défendues depuis plus longue date par M. Fillon ?

Depuis deux jours, il est quand même surprenant de voir à quel point la question religieuse, et en particulier celle du catholicisme, monopolise la campagne de la primaire de la droite (pour preuve, la conférence de presse hebdomadaire tenue hier par les proches de M. Fillon). Peut-être certains électeurs du premier tour pourraient-ils être dissuadés par le fait que ce débat semble tout recouvrir aujourd’hui. Il est probable que nombre d’électeurs de droite voudraient aussi entendre les candidats au sujet de l’économie, de l’éducation, de la sécurité… Peut-être demain ?