« Il estimait que les sens, tout autant que l’âme, ont des mystères spirituels à nous révéler. C’est ainsi qu’il étudia quelque temps les parfums. » Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, 1890.

Si tout le monde sait comment nommer la perte de la vue ou de l’ouïe, peu de personnes connaissent le terme associé à la perte de l’olfaction, l’anosmie. Cela est révélateur du peu de connaissance dont nous disposons sur ce sens. Nous avons pourtant l’intuition qu’il devrait être traité avec davantage de considération. En 1932, Aldous Huxley, dans son roman Le Meilleur des mondes, avait prédit les médias odorisés. Aujourd’hui, les grandes entreprises de parfumerie et agroalimentaires parient sur le marketing olfactif.

Plus intrigant, les protéines qui nous permettent d’interagir avec les molécules odorantes, les récepteurs olfactifs, ne se situent pas que dans notre nez ! Pour des raisons encore à établir, on les trouve dans des organes comme la prostate ou les spermatozoïdes. L’homme possède 400 types de récepteurs olfactifs que son cerveau utilise de façon combinatoire pour distinguer des milliards d’odeurs. La perception d’une odeur peut être vue comme une symphonie. Une molécule odorante serait alors un accord de notes sur un piano (notre cerveau) qui possèderait 400 touches. Le lien entre ces accords de signaux et l’odeur perçue est en principe possible à décrypter mais reste à découvrir.

Ma thèse a consisté à comprendre les interactions entre les composés odorants et ces récepteurs. J’ai construit des modèles de ces récepteurs atome par atome à l’aide d’un ordinateur, pointant ainsi un microscope virtuel sur notre système olfactif. Grâce à cet outil, assimilable à « un nez virtuel », j’ai observé que l’ensemble des récepteurs olfactifs de mammifères présentent deux fonctions cruciales : un interrupteur et un verrou moléculaire. Les molécules odorantes compatibles déclenchent l’interrupteur, ce qui ouvre son verrou. Certains récepteurs sont équipés d’un interrupteur progressif et d’autres d’un bouton marche/arrêt. L’un possède un verrou de porte blindée, l’autre un simple loquet. Une fois le verrou ouvert, une cascade d’événements engendre la reconnaissance de l’odeur par notre cerveau. Nous n’étions jamais allés aussi loin dans la compréhension des mécanismes moléculaires d’encodage du monde olfactif. Ces travaux ont abordé de façon innovante et transdisciplinaire des problématiques de longue date. Ils auront des retombées dans l’industrie des arômes et parfums, mais aussi dans le domaine biomédical, car ces récepteurs olfactifs deviennent des cibles thérapeutiques.

Claire de March

« Modélisation des mécanismes moléculaires de la perception des odeurs » : thèse soutenue le 23 octobre 2015. Directeur de recherche : Jérôme Golebiowski. Chimie. Université Nice Sophia Antipolis.