Un ours polaire teste la solidité de la banquise dans l’Arctique, en août 2015. | MARIO HOPPMANN / AFP

Le climat a-t-il perdu le nord ? Au-delà du cercle arctique, dans la pénombre de la nuit polaire, deux inquiétants records sont en train d’être battus : celui des températures et celui du minimum d’extension de la glace de mer à cette époque de l’année. Une situation inédite dont l’ampleur interroge les climatologues.

Les relevés de l’Institut météorologique danois montrent qu’en novembre les températures journalières de l’air en Arctique ont excédé de 15 à 20 °C la moyenne de la période 1958-2012. Des niveaux de – 5 °C ont ainsi été mesurés, au lieu des – 25 °C habituels en cette saison. Les cinq dernières années à la même époque, le thermomètre s’écartait déjà de la courbe de la période de référence, mais avec un différentiel beaucoup moins important (de quelques degrés seulement).

Températures journalières moyennes en Arctique en 2016 (en rouge), comparées à la moyenne de la période 1958-2002 (en vert). Les valeurs sont exprimées en Kelvin (273,15 k = 0 °C, figuré par l'axe en bleu). | Danish Meteorological Institute

Dans le même temps, la banquise arctique, qui, après avoir atteint son minimum en septembre, se reconstitue ordinairement en cette période, ne regagne que très lentement du terrain, comme le met en évidence le National Snow and Ice Data Center américain. Le 22 novembre, elle couvrait une superficie de 8,73 millions de km2, contre un peu plus de 11 millions de km2 en moyenne sur la période 1981-2010. Sa progression marque cette année des temps d’arrêt et elle connaît même des phases de rétractation.

Etendue de la banquise arctique en 2016 (en bleu), comparée à l’année 2012 (en vert) et à la moyenne de la période 1981-2010 (en noir) | National Snow and Ice Data Center

Témoin et amplificateur du réchauffement

Que se passe-t-il donc ? Les deux phénomènes – glace de mer réduite comme peau de chagrin et températures hors normes – sont liés, explique la climatologue Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe 1 (sciences du climat) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). « D’habitude, avec le refroidissement associé à la nuit polaire, la banquise arctique s’étend et joue ainsi un rôle d’isolant, en empêchant les flux de chaleur de l’océan vers l’atmosphère », décrit-elle. Un rôle tampon que la glace de mer, du fait de sa plus faible étendue, remplit beaucoup moins efficacement cette saison. D’où le réchauffement de l’air de la zone polaire.

Etendue de la banquise arctique le 22 novembre, comparée à la moyenne de la période 1981-2010 (en orange) | National Snow and Ice Data Center

Mais d’où vient que la banquise se trouve aussi mal en point ? La chercheuse met en avant « une circulation atmosphérique particulière », favorisant l’arrivée d’air chaud et humide venu de l’Atlantique et du Pacifique vers certaines régions de l’Arctique. Avec, à l’inverse, le déplacement de masses d’air froid et sec de l’Arctique vers la Russie et la Chine. A quoi s’ajoutent « des eaux de mer particulièrement chaudes dans certains secteurs de l’Arctique ».

Le coup de chaud actuel du pôle nord, s’il peut s’expliquer en partie par des conditions météorologiques inhabituelles, ne s’en inscrit pas moins dans une tendance de long terme dont le moteur est le changement climatique. « La perte de surface de la banquise, dont les relevés satellitaires montrent qu’elle s’accélère, témoigne du réchauffement planétaire, en même temps qu’elle l’amplifie dans cette région », souligne Valérie Masson-Delmotte.

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Anomalies

A l’échelle de la planète, les dernières années ont été les plus chaudes de l’histoire moderne, et l’Arctique n’a pas échappé à cette poussée de fièvre. Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), l’année 2016 devrait établir un nouveau record, avec une température moyenne « supérieure d’environ 1,2 °C à ce qu’elle était à l’époque préindustrielle ».

Dans cette prévision publiée le 14 novembre, l’organisme onusien alertait déjà sur les anomalies de la zone polaire. « Dans certaines régions arctiques de la Fédération de Russie, la température était [sur la période de janvier à septembre 2016] supérieure de 6 °C à 7 °C à la normale, indiquait-il. Et, dans de nombreuses autres régions arctiques et subarctiques de la Russie, de l’Alaska et du nord-ouest du Canada, la température a dépassé la normale d’au moins 3 °C. »

Concernant la glace de mer, il ajoutait : « L’étendue de la banquise arctique a été nettement inférieure à la normale pendant toute l’année. Le minimum saisonnier, en septembre, était de 4,14 millions de km2, ce qui le place au deuxième rang des minimums observés (à égalité avec 2007) après celui de 2012. Le maximum hivernal, en mars, était le plus faible jamais constaté, et à l’automne, l’embâcle [accumulation de glace] a été nettement plus lent que la normale. »

Quelles seront les conséquences de l’étiolement présent de la glace de mer sur son évolution d’ici à la fin de l’hiver et au cours de l’année à venir ? « On ne les connaît pas encore », répond Valérie Masson-Delmotte. Les extrêmes qu’affiche aujourd’hui la zone arctique donneront en tout cas du grain à moudre aux climatologues du GIEC, qui préparent un rapport spécial sur le changement climatique, les océans et la glace.