Infographie Le Monde

Ce n’est pas à proprement parler un budget de relance. Mais, après des années où l’austérité était le mot d’ordre, le gouvernement britannique a nettement changé de ton lors de la présentation de son budget annuel, mercredi 23 novembre.

Face au ralentissement attendu de la croissance en 2017, à la suite du vote en faveur du Brexit, la décision a été prise de laisser filer les déficits. Sur cinq ans, le Trésor britannique prévoit d’emprunter 122 milliards de livres sterling (144 milliards d’euros) de plus que les prévisions réalisées avant le référendum. Aux trois quarts, cette somme provient simplement de la détérioration de la croissance dans les années à venir, qui va réduire les recettes fiscales. Le solde concerne un plan de grands travaux.

Le trou de 122 milliards de livres sterling est cependant moins spectaculaire qu’il n’y paraît : au total, sur la période, cela revient à une augmentation du déficit de 1,1 % du produit intérieur brut (PIB). « Il s’agit d’un desserrement budgétaire, comme attendu, mais modeste », estiment les économistes de RBC Capital Markets, une banque d’investissement.

« Il serait faux de dire que c’est la fin de l’austérité, précise Fabrice Montagné, économiste à Barclays. Le gou­vernement britannique continue àréduire le déficit d’une année sur l’autre. »

« Nous maintenons notre engagement de discipline budgétaire. »

Avec son ton sobre, sans fioriture, Philip Hammond, le nouveau chancelier de l’Echiquier, a d’ailleurs insisté sur son approche très rigoureuse de l’argent public :

« Nous maintenons notre engagement de discipline budgétaire. »

Politiquement, il n’est pas question pour lui d’annoncer de larges dépenses. Le gouvernement conservateur a été élu par deux fois, en 2010 et en 2015, sur la promesse de l’austérité, et il compte s’en tenir à cette image de bon gestionnaire. D’ailleurs, les coupes budgétaires continuent. La grande majorité d’entre elles, qui étaient déjà annoncées, entreront en vigueur dans les prochaines années. Les allocations sociales, en particulier, vont continuer à être réduites.

« Il serait faux de dire que c’est la fin de l’austérité »

Mais la réalité économique a changé. Si la croissance du PIB reste très robuste – elle est prévue à 2,1 % pour 2016 –, elle devrait ralentir en 2017. La prévision officielle du gouvernement est de 1,4 % pour l’an prochain. La première ministre, Theresa May, ­reconnaît ainsi implicitement que le vote en faveur d’une sortie de l’Union européenne va peser sur le Royaume-Uni.

Deux phénomènes devraient jouer. Face aux incertitudes du Brexit, les investissements des ­entreprises devraient ralentir. Ce phénomène est relativement lent et mettra du temps à se matérialiser dans les chiffres économiques, mais il n’en reste pas moins réel. Par ailleurs, la chute de la livre sterling de près de 20 % va renchérir les importations, ce qui va augmenter l’inflation et diminuer le pouvoir d’achat des ménages.

« Un Brexit mal préparé »

Certes, avec 1,4 %, l’économie britannique conservera une croissance raisonnable.

« C’est équivalent à (…) l’Allemagne, et plus que (…) la France et l’Italie », se félicite M. Hammond.

Mais cela traduit un net ralentissement, qui réduit mécaniquement les recettes fiscales à venir.

Dans ce contexte, le gouvernement de Theresa May a choisi de ne pas réagir. Il laisse le déficit ­atteindre 2,9 % du PIB l’année prochaine (d’avril 2017 à mars 2018) au lieu des 2 % prévus avant le ­référendum.

L’objectif d’équilibrer les comptes publics dès 2019, lui, est enterré et repoussé à « dès que possible », pendant la première moitié des années 2020. La dette va ainsi continuer à augmenter, pour ­culminer à 90 % du PIB en 2017.

« Quand les circonstances changent, on doit changer aussi », résume Simon Kirby, secrétaire d’Etat au Trésor.

A cette décision de laisser filer les déficits, Londres a décidé d’ajouter un – léger – plan de ­dépenses dans les infrastructures. Des aides pour financer des projets dans les transports, dans la construction immobilière – notamment pour les logements sociaux – et pour développer l’Internet à haut débit ont été annoncées. Au total, les « cadeaux » budgétaires doivent représenter une enveloppe de 26 milliards de ­livres sterling sur cinq ans.

Pour l’opposition, cet effort ne va cependant pas assez loin. « Nous faisons face au Brexit mal préparé et nous attendions un changement de direction », regrette John McDonnell, le chancelier de l’Echiquier « fantôme » du parti travailliste. Devant la Chambre des communes, il a fait la liste des coupes à venir dans les allocations pour les familles pauvres et les handicapés.

« C’est scandaleux ! »
« Le chancelier n’a pas parlé de ce qui a été mis au jour pendant la campagne du référendum sur l’Union européenne : les inégalités, attaque Catherine Colebrook, ­économiste à l’Institute for Public Policy Research, un think tank de gauche. Il est pourtant temps que le débat national sur l’économie reflète cette faiblesse fondamentale. »

De fait, beaucoup d’observateurs estiment qu’il s’agissait d’un budget de transition. Les effets du référendum demeurent extrêmement incertains. Actuellement, les économistes prévoient, en moyenne, 1,1 % de croissance pour 2017, mais avec une marge d’erreur… de 0,6 %. En temps normal, cette marge est de 0,2 %. Autrement dit, personne ne sait vraiment ce qu’il va se passer.

Tout va dépendre de l’évolution des négociations entre Londres et Bruxelles, de la probabilité de conserver un accès complet au marché unique ou non, des li­mites qui seront imposées à l’immigration… Autant de sujets qu’aucun observateur, pas même le gouvernement britannique, ne contrôle vraiment.

Dans ces conditions, Londres « s’est gardé une marge de manœuvre », estiment les économistes de RBC. Le gouvernement est prêt à agir si l’économie plonge réellement.

Infographie Le Monde