Cette semaine, découvrez Jan, une gamine qui n’a pas froid aux yeux, dans un bel album jeunesse signé Claudine Desmarteau, la biographie de David Foster Wallace, écrivain surdoué mort en 2008, un essai sur l’immense chiffrage du monde et un récit de Patrick Chamoiseau mêlant l’évocation de l’histoire de la Martinique et celle d’un deuil intime.

ROMAN JEUNESSE. « Jan », de Claudine Desmarteau

Jan ne doit pas se prononcer « Jean », mais « Jeanne », car il s’agit d’une contraction de Janis, comme Joplin. Le père de la fillette l’a prénommée ainsi en raison du culte qu’il voue à la chanteuse, morte en 1970 à l’âge de 27 ans. Quand il « met du Janis Joplin à fond, on peut être sûr qu’il est bourré et ça lui fait couler des larmes ». Affalé sur le canapé toute la journée quand il ne traîne pas au bistrot, ce papa chômeur à la maladresse maladive peut heureusement compter sur la tendresse de Jan, cette « fille qui n’est pas une gonzesse ».

Claudine Desmarteau, déjà connue pour la série Le Petit Gus (Albin Michel, 2000-2013), a pour modèles René Goscinny et Jean-Marc Reiser. Cette fois-ci, elle transpose l’Antoine Doinel des Quatre Cents Coups de Truffaut au féminin et dans le contexte des difficultés sociales d’aujourd’hui – avec des parents dont le couple explose en vol, un placement en foyer et en famille d’accueil, un projet de fugue et une envie irrépressible d’aller voir la mer. Frédéric Potet

THIERRY MAGNIER

« Jan », de Claudine Desmarteau, Thierry Magnier, 252 pages, 14,50 €. Dès 12 ans.

BIOGRAPHIE. « David Foster Wallace », de D. T. Max

Des pages précises et documentées du journaliste D. T. Max se dégage d’abord le portrait d’un être surdoué : l’auteur de L’Infinie Comédie (L’Olivier, 2015), qui s’est donné la mort en 2008 à l’âge de 46 ans, s’intéresse à tout (littérature, philosophie, mathématiques, tennis, rap, politique, télévision…) et peut littéralement tout écrire (romans, essais, dialogues, articles, critiques, livre sur les maths…) dans à peu près tous les registres de langue (soutenue, technique, argotique, parodique, humoristique…). Un feu d’artifice en puissance.

Au fil de la lecture, pourtant, tandis qu’on suit David Foster Wallace, du campus d’Amherst (Massachusetts, où il fait ses études) à celui de Pomona (Californie, où il enseigne durant les dernières années de sa vie), c’est le Wallace intime – friable – qui s’impose peu à peu. Celui qui tremble en dedans. En tout cas, c’est cela qui touche le plus : « L’angoisse qui palpite sous la surface des jours. » Florence Noiville

L'OLIVIER

« David Foster Wallace », de D. T. Max, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jakuta Alikavazovic, L’Olivier, 440 pages, 25 €.

ESSAI. « Quand le monde s’est fait nombre », d’Olivier Rey

Le chômage est devenu une courbe, le progrès un indice, l’économie un taux. Le monde des gens et des choses, du verbe et des témoignages a laissé place à celui des graphiques et des chiffres. Comment donc cela est-il advenu ? Et à quoi correspond au juste cet empire des statistiques, devenu désormais « plus réel que la réalité » ? Olivier Rey, avec Quand le monde s’est fait nombre, explore ces questions.

La thèse centrale du livre est que le triomphe de la statistique n’a pas eu pour motif un combat ­contre les individus, désireux de les annuler en les uniformisant. Au contraire, c’est pour préserver leur souveraine singularité que les chiffres se sont imposés. « C’est le principe selon lequel personne n’est là pour faire nombre qui finit par appeler le règne du nombre (…), c’est le respect de la singularité de chacun qui oblige à s’en tenir à ce qui se mesure. » En d’autres termes, le rapport des hommes aux chiffres reflète la relation des hommes entre eux. Roger-Pol Droit

STOCK

« Quand le monde s’est fait nombre », d’Olivier Rey, Stock, « Les essais », 324 pages, 19,50 €.

RÉCIT. « La Matière de l’absence », de Patrick Chamoiseau

Dix-sept ans que Patrick ­Chamoiseau et sa sœur se rendent chaque Toussaint sur la tombe de leur mère. Cheminant dans le cimetière, le Négrillon et la Baronne – ce sont leurs surnoms – évoquent leur Man Ninotte. Lui, poète rêveur, ­bavard, qui s’évade dans les sillons de ses rêves et de sa mémoire ; elle, l’aînée, concrète et forte, qui lui reproche de lui « inventer des souvenirs ». Ce rituel constitue le fil directeur de La Matière de l’absence, en même temps que sa mise en abyme.

Passant de l’intime à l’universel, le livre nous fait arpenter Fort-de-France, la ville natale de l’écrivain, où s’affaire la mère, puis les paysages de la Martinique. Mais nous sommes loin de l’imagerie paradisiaque des cartes postales. Soudain, un Indien caraïbe voit se dessiner à l’horizon les vaisseaux des Européens. Bientôt, son monde va s’effondrer, emportant toute trace de sa présence. « Les vrais poètes sont ceux qui rendent visible l’invisible », écrit Chamoiseau. Gladys Marivat

SEUIL

« La Matière de l’absence », de Patrick Chamoiseau, Seuil, 372 pages, 21  €.