Un monstruo viene a verme, le troisième et nouveau film de l’Espagnol Juan Antonio Bayona, 41 ans, s’apprête à battre des records en Espagne. Sorti le 7 octobre, il a déjà attiré plus de 3,3 millions de spectateurs. Cette adaptation du roman de Patrick Ness, Quelques minutes après minuit, raconte l’histoire d’un enfant confronté à la mort prochaine de sa mère, atteinte d’un cancer, et dont les peurs se matérialisent dans un monstre qui a l’apparence d’un arbre.

Trailer Un monstruo viene a verme.
Durée : 02:34

Effets spéciaux impressionnants, réalisation sans fausse note et larmes garanties, le film a largement atteint ses objectifs commerciaux. Reste, pour le spectateur, la sensation d’être face à un produit dépourvu d’identité. Dans ce film tourné en anglais avec des acteurs hollywoodiens comme Sigourney Weaver, Felicity Jones (le dernier Star Wars) ou Liam Neeson, il est impossible de deviner qu’il s’agit d’un film espagnol.

Effets spéciaux, acteurs, langue… Les grosses productions du cinéma espagnol (ici, « Un monstruo viene a verme ») semblent tout droit sorties d’Hollywood. | METROPOLITAN FILMEXPORT

Comme plusieurs succès au box-office du pays des dernières années, Un monstruo viene a verme emprunte les techniques, et surtout la langue, du cinéma anglo-saxon. « Évidemment, nous préférons tourner en castillan, mais si nous voulons faire un film de plus de 5 millions d’euros de budget, soit nous devons le tourner en anglais, soit c’est un investissement à perte », explique le Français Ghislain Barrois, directeur délégué de Telecinco Cinema, société coproductrice du film.

Un tremplin vers Hollywood

C’est le grand paradoxe du cinéma espagnol : malgré 500 millions d’hispanophones dans le monde, il est très difficile de rentabiliser les grandes productions tournées dans la langue de Cervantes. « Nous cherchons à y remédier en créant un star-system qui permette aux acteurs de marcher des deux côtés de l’Atlantique, mais c’est très compliqué », souligne Ramon Colom, président de la Confédération des producteurs audiovisuels espagnols (Fapae). En attendant, pas question de se lamenter sur les risques d’une américanisation du cinéma espagnol. « Que les films ressemblent au cinéma américain dans la façon de tourner, de monter, les contrastes de couleurs, les plans, ce n’est pas mauvais en soi. Le scénario, souvent, conserve une part de l’identité espagnole », défend Ramon Colom. « Les tournages ont lieu majoritairement en Espagne, ce qui permet à ces films de servir de tremplin vers Hollywood pour les techniciens du cinéma espagnols », ajoute Ghislain Barrois.

Fiers de leurs blockbusters

La multiplication des films tournés en anglais, par choix ou par obligation, ne fait guère polémique en Espagne. En 2012, The Impossible, de Juan Antonio Bayona, également en anglais, avait raflé cinq Goyas (l’équivalent des Césars). « Le fait qu’il ait été tourné en anglais est une chose à laquelle nous devons nous habituer », avait alors lancé le ministre de l’éducation, de la culture et des sports, José Ignacio Wert. Le critique de cinéma Jordi Costa estime même que les Espagnols ont une certaine « fierté » à voir des films nationaux prendre des allures de blockbuster. « Lorsque Alejandro Amenabar a tourné son premier film, Tesis, le public espagnol l’a salué en disant : “Enfin un film qui a l’air américain !” »

Amenabar est devenu le plus célèbre représentant de ces réalisateurs espagnols qui tournent en anglais. Depuis 2002, et son Goya du meilleur film pour Les Autres, avec Nicole Kidman, le mouvement a pris de l’ampleur. Au Festival international du film fantastique de Catalogne à Sitges, qui s’est tenu en octobre, les quatre films espagnols projetés ont tous été tournés en anglais : outre le film de Bayona, Inside, de Miguel Angel Vivas, adapté du film français À l’intérieur, Colossal de Nacho Vigalondo et Proyecto Lazaro de Mateo Gil. De quoi faire dire au critique du quotidien El País, Gregorio Belinchon, qu’au Festival « on n’entendait parler espagnol que dans les films mexicains ».

« Quelques minutes après minuit » (1 h 48), de Juan Antonio Bayona. En salles le 4 janvier.