A la gare de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), en 2014. | PAUL SMITH/Flickr

L’air de rien, il s’agit d’une date dans l’histoire du rail français. Jeudi 24 novembre, Hervé Morin, président UDI de la région Normandie, a signé, au centre de maintenance de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), l’acquisition, par l’intermédiaire de la SNCF, de 40 trains à l’industriel canadien Bombardier. Ces matériels remplaceront, à compter du 1er janvier 2020, les vieux Corail à bout de force, qui desservent les lignes Paris - Caen - Cherbourg et Paris - Rouen - Le Havre.

Jusque-là, rien que du banal. Sauf qu’à y regarder de plus près, c’est la première fois, depuis la nationalisation des chemins de fer en 1937, qu’une entité régionale prend en charge la gestion de lignes nationales. Ces liaisons, appelées dans le jargon ferroviaire les trains d’équilibre du territoire (TET) ou Intercités, étaient jusqu’ici sous la tutelle exclusive de l’Etat.

Cette nouvelle phase de la décentralisation ferroviaire consiste en un accord donnant-donnant entre la région normande et l’Etat. D’un côté, le ministère des transports prend en charge l’investissement de 720 millions d’euros qui comprend le renouvellement des trains, l’adaptation de l’infrastructure et la maintenance. De l’autre, la région se substitue à l’Etat en devenant autorité organisatrice de ces lignes, dont elle confie l’exploitation à la SNCF.

Réputation épouvantable

« C’est la fin d’un cauchemar dont les Normands ne voyaient pas le bout, dit Hervé Morin. La qualité de service s’était dégradée d’année en année. L’Etat, qu’il penche à droite ou à gauche, s’est révélé incapable de gérer ces trains. La Normandie était en avance avec le turbotrain jusque dans les années 1970, l’essor du TGV nous a fait reculer. »

M. Morin, qui a fait des transports l’une de ses priorités, veut croire que la gestion régionale sera plus efficace que la nationale.

Les 30 000 Normands qui empruntent quotidiennement ces lignes pour aller travailler en région parisienne verront, dans un peu plus de trois ans, une nette différence avec les trains actuels, à la réputation épouvantable (ils doivent parfois s’arrêter à une gare intermédiaire pour cause de panne de toilettes).

Les nouvelles rames à deux niveaux sont des Omneo Premium, le nec plus ultra du catalogue de Bombardier dans cette catégorie. Extralarges, ils peuvent transporter 860 personnes à chaque voyage. Ils offrent tout le confort d’un TGV au goût du jour : atmosphère feutrée, prises de courant, liseuses personnelles, Wi-Fi à bord. Le tout, à une vitesse de pointe honorable de 200 kilomètres par heure.

Si le fournisseur est étranger, l’emploi est français. Les rames sortiront de l’usine Bombardier de Crespin (Nord), près de Valenciennes, premier site ferroviaire hexagonal. Le contrat donnera du travail pendant quatorze mois aux 2 000 salariés, dont 500 cadres et ingénieurs, soit 50 % de la charge maximale de l’usine. La Normandie n’est pas non plus oubliée. L’atelier de Sotteville, près de Rouen, devient centre de maintenance de référence, après 40 millions d’euros de travaux. Enfin une « Normandisation » de la gare Saint-Lazare, à Paris, avec des quais réservés, devrait contribuer à offrir un meilleur service aux voyageurs.

Régionalisation

Une frayeur, quelques semaines avant la finalisation du contrat, a failli transformer l’opération en un drôle de fiasco. Compte tenu du gabarit très large des nouveaux trains, il n’était pas certain que les rames pourraient se croiser sans se toucher gare Saint-Lazare. Les tests réalisés par la SNCF ont permis à tous les intervenants de souffler. Moyennant quelques aménagements, pour éviter que les wagons ne se frottent dans les courbes à l’abord des quais, cela passe tout juste.

Au fond, tout le monde est satisfait de la régionalisation de ces lignes. L’exécutif normand, d’abord, qui insiste bien pour que les délais de livraison au 1er janvier 2020 soient tenus, autrement dit avant la fin du mandat de la majorité sortante. Bombardier, ensuite, qui tire les dividendes de son contrat-cadre signé avec la SNCF en 2010 pour fournir 860 trains au maximum aux régions françaises sur le long terme. La transaction normande est en fait une option levée dans le périmètre de cet appel d’offres global.

Lignes déficitaires

Et puis la SNCF reprend haleine, elle aussi. Elle ne savait plus comment gérer ces lignes qui tombent en décrépitude. « Pour nous, c’est un soulagement », explique un cadre de la société nationale. Guillaume Pepy, le président de la SNCF, exprime ce sentiment d’urgence en des termes plus diplomatiques :

« Nous sommes, dès à présent, pleinement engagés dans cette coconstruction, illustrée par cette première étape conduite en un temps record. »

Mais les plus ravis dans l’affaire, ce sont les représentants d’un Etat désargenté, qui ont enfin trouvé une façon de se débarrasser de la patate chaude des TET. Ces lignes sont déficitaires, de moins en moins fréquentées, mal équipées et en sous-investissement chronique. Paris ne tient à conserver, sous son autorité, que six lignes Intercités (dont Paris - Limoges - Toulouse et Bordeaux - Marseille). Tout le reste peut être décentralisé.

Le ministre des transports, Alain Vidalies, avait signé, sous la houlette de son premier ministre, Manuel Valls, le principe de la régionalisation avec les Normands au mois de juin. Depuis, l’innovation a fait des émules et les discussions Etat-région sont en pleine effervescence. Le 17 novembre, le ministère a annoncé un nouvel accord pour la reprise par la région Grand Est de trois lignes nationales : Reims-Dijon, Hirson-Metz et Paris - Troyes - Belfort. Pour cette dernière liaison, l’Etat a mis 275 millions d’euros sur la table pour l’achat de de 19 rames neuves.