Légitime Défense © Aurel | AUREL

C’est un dossier emblématique du climat pré-électoral et de la gestion de crise qui a cours au sein du ministère de l’intérieur, alliage d’impératifs d’urgence et de communication. Moins de deux mois après l’attaque de policiers à Viry-Châtillon (Essonne), au cours de laquelle un adjoint de sécurité a été grièvement brûlé, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé mercredi 23 novembre qu’un projet de loi serait examiné « dès le 21 décembre » en conseil des ministres en vue de réformer les règles d’ouverture du feu pour les policiers. Il devrait déboucher sur un « régime commun » aux policiers et aux gendarmes et être « présenté au Parlement au cours du premier trimestre 2017 ».

Cette annonce fait suite à la remise au premier ministre, la veille, d’un rapport de l’Institut national des hautes études sur la sécurité et la justice (INHESJ) sur le sujet. Une mission de réflexion avait été confiée le 26 octobre à cet institut, dont Hélène Cazaux-Charles, magistrate et ex-conseillère justice au sein du cabinet de Manuel Valls, vient de prendre la direction. Il s’agissait alors de calmer la grogne policière qui se manifestait à travers la multiplication de rassemblements nocturnes en faveur, notamment, d’une réforme de la légitime défense. Selon nos informations, l’INHESJ préconise un alignement des règles d’ouverture du feu applicables aux policiers sur celles en vigueur chez les gendarmes.

Actuellement, les policiers, comme tout citoyen, peuvent intervenir en cas de légitime défense. Celle-ci repose sur plusieurs conditions : la riposte doit être nécessaire, simultanée à l’agression et proportionnée. Les gendarmes sont autorisés à ouvrir le feu dans quatre autres situations : lorsque des violences sont exercées contre eux, notamment par des individus armés ; lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ; lorsque des personnes tentent d’échapper à leur garde et qu’elles ne peuvent être arrêtées autrement que par l’usage des armes ; lorsqu’ils ne peuvent arrêter autrement un véhicule, par exemple qui force un barrage.

Insécurité juridique

Le gouvernement pourrait reprendre à son compte les préconisations de l’INHESJ. M. Cazeneuve refusait pourtant d’aller sur ce terrain jusque récemment. Un premier assouplissement avait eu lieu avec la loi du 3 juin 2016, dite de lutte contre le crime organisé. Le texte prévoyait que les policiers, militaires de Sentinelle, gendarmes et douaniers puissent faire usage de leur arme en cas de « périple meurtrier », c’est-à-dire dans le cas où des terroristes venant de commettre un attentat sont en cavale et sont susceptibles de tuer à nouveau (le principe d’immédiateté étant alors assoupli). A droite aussi, un glissement s’est opéré. En 2003, alors qu’il était ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, interrogé par un sénateur RPR, estimait encore que « les différences d’usage des armes entre la police et la gendarmerie nationales s’expliquent par le caractère particulier et périlleux de l’usage des armes en milieu urbain ». Aujourd’hui, l’ensemble des candidats à la primaire de la droite se sont dits favorables à un alignement des règles entre policiers et gendarmes.

Pour quel bénéfice ? Nul, avait répondu, en substance, la commission des lois du Sénat, en 2013, dans le cadre d’un rapport consacré au sujet. Elle relativisait notamment l’idée selon laquelle les policiers sont dans une situation d’insécurité juridique. « Seuls quelques cas d’usage des armes ont donné lieu à des mises en cause » de policiers, rappelait le Sénat. D’après la direction générale de la police nationale, « seulement » 120 procédures liées à des cas de légitime défense et d’ouverture du feu ont été transmises à l’inspection générale de la police nationale au cours des cinq dernières années. Le nombre de condamnations qui en découlent est plus marginal encore.

« Absolue nécessité »

En outre, la jurisprudence impose déjà des règles communes à tous. Si d’apparence les gendarmes jouissent de prérogatives élargies, en réalité, « depuis un arrêt de 2014, la juridiction européenne a dit que la législation française concernant les gendarmes n’est conforme que parce qu’elle est soumise à l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire au respect des exigences de proportionnalité et d’absolue nécessité », prévient Olivier Cahn, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Ce cadre juridique européen, proche des règles de la légitime défense, s’impose aux gendarmes comme aux policiers.

La réforme annoncée par le gouvernement « sera symbolique », prévient Olivier Cahn. Un responsable syndical, qui a souhaité rester anonyme, abonde : « Le gouvernement devait donner l’impression d’avancer mais il va juste complexifier les choses et les collègues vont en rester à la légitime défense. » Pour MLaurent-Franck Liénard, avocat spécialisé dans la défense des policiers, c’est un « mauvais cadeau » qui leur est fait. « On envoie un message extrêmement dangereux d’assouplissement des règles alors qu’en fait, elles restent les mêmes pour tous. » Dans son rapport, l’INHESJ préconise également la mise en place d’un magistrat référent par cour d’appel en matière d’usage des armes, le recours à l’audition libre plutôt qu’au placement en garde à vue des policiers en cas d’enquête, ou encore le renforcement de leur formation à l’utilisation des armes de poing. Aujourd’hui, un policier est censé faire trois séances de tir par an.