Le fait est peu connu : le premier génocide du XXe siècle a eu lieu en Afrique. Environ 65 000 Herero et 10 000 Nama furent massacrés par l’armée du IIe Reich dans le Sud-Ouest africain allemand – l’actuelle Namibie – entre 1904 et 1908. Le Mémorial de la Shoah, qui avait déjà traité des génocides arménien et tutsi, consacre une exposition, visible du samedi 26 novembre au 12 mars 2017, à ce crime colonial à travers une abondance de documents d’archives.

Il y a tout d’abord cette photographie de Hendrik Witbooi, capitaine des Nama, coiffé d’un chapeau paré d’un ruban blanc, assis dans un fauteuil, le regard fier, un fusil à la main. Ce même couvre-chef, qui ressemble à un chapeau de cow-boy, est présenté un peu plus loin, derrière une vitrine. Leader instruit et charismatique, Hendrik Witbooi parvient à rassembler les clans nama et oorlam dans le sud de l’actuelle Namibie dans les années 1880. D’incessantes disputes autour des pâturages dégénèrent avec d’autres clans. Les Allemands profitent de ces conflits répétés pour proclamer leur protectorat sur le Sud-Ouest africain en 1884. La colonisation n’en demeure pas moins une entreprise laborieuse pour les quelques marchands et diplomates venus s’aventurer dans ces contrées réputées hostiles : les gains sont dérisoires.

« Ordre d’extermination »

Le débarquement des troupes allemandes dans la colonie en 1889 inaugure alors une période de violences féroces. Dans la nuit du 12 avril 1893, lors d’une attaque surprise sur le camp de Witbooi, les troupes allemandes massacrent pas moins de 75 femmes et enfants. D’autres campagnes sont menées contre les « tribus rebelles » : les femmes sont violées, les survivants envoyés aux travaux forcés, les terres et le bétail saisis.

Le camp de concentration de Windhoek, implanté au centre de la ville. À l’arrière-plan, l’ancien fort établi en 1890 par Curt von François. | 1906. © Collection J.B. Gewald/ Courtesy of National Archive of Namibia

La déclaration du chef herero, Kamaharero, en réaction à l’expansion allemande, est présentée non loin d’un exemplaire du Petit journal, dont la couverture représente la police impériale réprimant une foule de manifestants berlinois opposés à la politique coloniale allemande. Ces documents permettent de prendre la mesure des résistances et des refus à l’œuvre. Après avoir multiplié les efforts de diplomatie, les chefs herero se soulèvent contre les colons allemands. Berlin envoie alors le général Lothar von Trotha mater la rébellion. Celui qui a déjà fait montre d’une grande brutalité au Togoland et en Chine, lors de la guerre de Boxers, est déterminé à en finir avec les Herero censés n’être que des « sauvages ». Ses troupes armées de canons, de mitrailleuses et de grenades encerclent le campement de Waterberg, avant de lancer l’assaut, le 11 août 1904, avec pour ordre de ne pas faire de prisonniers. Les Herero réussissent à briser l’encerclement et des dizaines de milliers d’entre eux s’enfuient dans le désert. Pendant des semaines, repoussés de plus en plus loin dans le désert, d’innombrables Herero meurent de déshydratation.

Le 3 octobre 1904, le général Lothar von Trotha enjoint les troupes du Kaiser de tuer sans distinction les hommes, les femmes et les enfants : tout Herero présent sur le « territoire allemand » sera tué. La copie de cet « ordre d’extermination » rédigé à la main laisse le visiteur dans un état de sidération. Loin de jouer sur l’émotion, cette exposition se concentre sur les faits. Après que les missionnaires ont dénoncé les atrocités commises par l’armée allemande, l’ordre d’extermination est levé. Le génocide entre alors dans une nouvelle phase. Ceux qui ont survécu après avoir fui dans le désert sont incarcérés dans des camps de concentration et contraints aux travaux forcés. Le 23 avril 1905, von Trotha signe une déclaration menaçant les Nama du même sort. Cernés, ils sont tous internés dans le camp de concentration de Shark Island. Les prisonniers, contraints au travail forcé, succombent aux mauvais traitements et à la malnutrition. Des crânes de victimes sont alors envoyés en Allemagne à des fins de recherche scientifiques raciales.

Dans les oubliettes de l’Histoire

Instructive, cette exposition – la première en Europe à traiter le sujet – l’est d’autant plus qu’elle étudie ce génocide dans une perspective comparatiste stricte. « Il existe deux ordres d’extermination écrits : l’un à l’encontre des Herero, l’autre à l’encontre des Nama. De tels écrits n’existent pas dans le cas de la Shoah et des génocides arménien et tutsi, explique Sophie Nagiscarde, commissaire de l’exposition. Il ne s’agit pas d’établir une filiation entre ce génocide et la Shoah, mais de montrer que la haine raciale, l’expérience concentrationnaire, la collecte des crânes humains pour le compte de la recherche anthropologique constituent un terreau. »

L’exposition traite également les enjeux de mémoire du génocide. Si ce massacre est resté si longtemps ignoré, c’est d’abord parce que les puissances européennes se sont entendues pour qu’il tombe dans les oubliettes de l’Histoire. Le Blue Book, un rapport officiel du gouvernement britannique faisant état des atrocités commises dans le Sud-Ouest africain allemand, réalisé peu de temps après la reconquête de la colonie pendant la première guerre mondiale, fut banni en 1926. Les Britanniques ont préféré enterrer ce rapport que de voir les Allemands se pencher sur les crimes qu’eux-mêmes avaient commis pendant la guerre des Boers, en Afrique du Sud.

A cet égard, il n’aurait pas été inutile de rappeler que le génocide des Herero et des Nama intervient dans un contexte de violences coloniales exacerbées : à la fin du XIXe siècle, des répressions sanglantes sont menées par les Français à Madagascar, par les Britanniques contre les Zoulous ou encore par les Belges au Congo.

L’exposition n’oublie pas d’aborder la question des excuses et des réparations. Les Herero, qui sont aujourd’hui près de 164 000 en Namibie, et les Nama, environ 246 000, exigent des excuses et demandent réparation au gouvernement allemand pour les atrocités commises et les injustices incessantes. Après 1915, le Sud-Ouest africain est devenu protectorat de l’Afrique du Sud, les Namibiens ont vécu sous le régime d’apartheid jusqu’en 1990, date de l’indépendance. Les victimes de la colonisation allemande n’ont jamais pu récupérer leurs fermes. Le gouvernement namibien est resté silencieux sur la question jusqu’au rapatriement de vingt crânes de Herero et de Nama en 2011. L’Allemagne a ensuite reconnu en juillet 2015 que les massacres commis par son armée entre 1904 et 1908 en Namibie étaient un « génocide ». Un pas de plus vers des excuses officielles : Berlin a annoncé en juillet, qu’il les présenterait d’ici la fin de l’année 2016.

« Le premier génocide du XXe siècle. Herero et Nama dans le Sud-Ouest africain allemand, 1904-1908 » du 25 novembre 2016 au 12 mars 2017 au Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy – l’Asnier, 75004 Paris. Ouverture tous les jours sauf le samedi de 10 heures à 18 heures et le jeudi jusqu’à 22 heures. Entrée libre. www.memorialdelashoah.org