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Depuis quelques années, une véritable frénésie s’est emparée de la production et de la consommation de l’avocat, devenu le champion des magazines et des blogs culinaires dans les pays dits « occidentaux » (Europe, Etats-Unis). En 2015, il a été le produit le plus populaire sur le réseau social Pinterest et, selon les estimations, il devrait figurer dans la liste des cinq produits agricoles qui ont généré le plus de ressources économiques ces dix dernières années. Les Etats-Unis, qui en consommaient 1,1 livre par habitant en 1999, ont atteint les 7 livres l’an passé. La France, deuxième sur le marché international derrière les Etats-Unis, en avale 1,2 kg par habitant, soit plus de 90 000 tonnes. D’où vient cet amour fou pour le fruit de l’avocatier ?

Il s’était déjà fait remarquer voici plus de 8 000 ans en Amérique centrale. Peu de fruits, en effet, osent porter un nom à consonance génitale : « ahuacatl », testicule en langue aztèque. Et son aspect piriforme, évoquant une poire ventrue, n’explique pas tout. Les Mayas y voyait déjà un réel stimulant, une sorte de viagra précolombien à la peau verte ou sombre, lisse ou rugueuse, et à la chair jaune-vert, onctueuse, presque grasse. Une réputation discutable, lorsque l’on sait que l’avocatier a une sexualité nulle. Les organes mâles et femelles de ses fleurs hermaphrodites n’arrivant pas à maturité au même moment, il se reproduit en mode agame (asexuée, par division cellulaire).

Avec quelques gouttes de citron et d’huile d’olive, un peu de fleur de sel et de poivre, c’est ainsi qu’il s’apprécie le mieux.

Cortez l’a découvert et les Espagnols l’importeront en Europe au XVIIsiècle, développant sa culture dans toute l’Amérique du Sud et jusqu’aux îles Canaries. A partir du XIXe, il va se répandre dans le sud des Etats-Unis, en Afrique (Madagascar, Afrique du Sud), en Asie (Malaisie, Philippines, Nouvelle-Zélande) et ce n’est qu’au début du XXe qu’il gagne le bassin méditerranéen (Israël). Disponible toute l’année, il n’a pas de saison, sa présence sur les étals dépendant de son pays d’origine.

Parmi plus de 600 cultivars et de nombreux hybrides, trois variétés dominent le marché : le hass, brun violacé, à peau dure et granuleuse, est la plus appréciée et la plus répandue. Il vient d’Espagne, d’Israël, d’Afrique du Sud et du Mexique ; le fuerté, allongé, vert sombre, mat, à peau fine, d’Israël, d’Espagne et d’Afrique du Sud ; l’ettinger, allongé, vert clair, brillant, à peau fine, d’Israël et d’Afrique du Sud. Le Mexique est le premier producteur mondial (1,5 million de tonnes par an sur une production totale de 3,1 millions de tonnes), suivi par le Chili, avec 368 800 tonnes.

L’aliment presque parfait

L’avocat a toujours été apprécié pour ses vertus médicinales et cosmétologiques. Un masque d’avocat sur le visage, avec les rondelles de concombres sur les paupières, tout le monde connaît ses bienfaits pour la peau. Les Aztèques comme les créatures d’Hollywood. Ses qualités nutritives et diététiques ne sont pas en reste. Très énergétique, luttant contre le mauvais cholestérol, riche en vitamines C, B et E, en potassium, en magnésium, en fer, il protégerait des cancers et des maladies cardio-vasculaire. Bref, l’aliment presque parfait, un favori du régime vegan et facile à accommoder, toujours cru jamais cuit.

Coupé en deux, avec quelques gouttes de citron et d’huile d’olive, un peu de fleur de sel et de poivre, c’est ainsi qu’il s’apprécie le mieux lorsqu’il est à maturité. Après, c’est la foire aux « dressings », mayonnaises et autres sauces cocktails. On lui doit le guacamole, un accompagnement qui a fait le tour du monde : avocats biens mûrs, jus de citron, oignon, ail, coriandre fraîche et en poudre, piment séché selon son goût, sel, poivre, le tout passé au mixeur. Rien de plus, rien de moins. Le New York Times, qui, en juillet 2015, avait osé tweeter une recette intégrant des petits pois, en a été pour ses frais. Le scandale est remonté jusqu’à la Maison Blanche, où Barack Obama a fermement défendu la recette classique.

Au-delà de ces dérives culinaires, le boom de l’avocat a des conséquences plus dramatiques : la déforestation, notamment dans l’Etat du Michoacan, qui assure 80 % de la production mexicaine. Selon Talia Coria, du Bureau national de protection de l’environnement, 20 000 hectares de forêts sont convertis chaque année en vergers. Sans permis ni autorisation, souvent avec l’aide de la mafia locale attirée par cet or vert, et sans se soucier de l’avenir du papillon migrateur monarque, dont la région est un refuge. Pensez à lui lors de votre prochain avocat !

jpgene.cook@gmail.com