Fidel Castro et le président bolivien Evo Morales en août 2015. | HO / AFP

Editorial du « Monde ». D’abord, Fidel Castro, mort dans la nuit du vendredi 25 novembre, a représenté l’espoir. Un immense espoir. On ne peut pas – plus – comprendre le retentissement de la révolution castriste sur cette petite île des Caraïbes si on ne la resitue dans son époque. En cette année 1959, quand les « barbudos » de la guérilla menée par « Fidel » contre la dictature de Fulgencio Batista prennent le pouvoir à La Havane, le socialisme tel qu’incarné par l’URSS est figé dans une tyrannie bureaucratique.

Voilà qu’une révolution menée par des jeunes gens qui font le coup de fusil dans la montagne renverse un tyran corrompu. Batista a confié son pays à la mafia nord-américaine, laquelle en a fait une sorte de casino pour touristes en mal d’exotisme. Tout y est : romantisme, rumba et treillis de maquisard. Telle est la légende – et aussi une part de la vérité. Car les débuts de la révolution sont marqués par l’ambiguïté. « La révolution cubaine est une démocratie humaniste », dit Castro. Deux ans durant, il hésite avant de se jeter dans les bras de Moscou. Les historiens discutent encore : est-ce la faute de l’agressivité de Washington ou « Fidel » était-il déjà décidé à instaurer un régime communiste à Cuba ?

Une légende planétaire

En 1961, le choix est fait, Castro se proclame « marxiste-léniniste », il instaure une dictature de fer, fait fusiller ou embastille la moindre opposition. Les libertés publiques sont anéanties, l’économie étatisée. Contraint ou délibérément, il enferme la révolution cubaine dans le camp soviétique. Mais pour tous les déçus du communisme, peu importe. En Afrique, en Asie, ailleurs en Amérique latine, le modèle castriste fascine et, bien au-delà du bassin des Caraïbes, anime nombre de guérillas révolutionnaires. La légende de « Fidel » est planétaire.

Vidéo : Fidel Castro, 42 ans à la tête de la révolution cubaine
Durée : 06:37

Sur place, la guerre froide fait son œuvre. Washington veut la fin de l’expérience castriste. La crise des fusées – celles qu’installe le Kremlin à Cuba – se solde par une défaite pour Moscou, mais elle contribue au durcissement d’un régime dont la CIA a juré la fin. Les Etats-Unis instaurent un embargo économique total, l’URSS soutient l’île à bout de bras. Castro joue avec succès d’un sentiment « anti-yankee » qu’exacerbent, dans toute la région, les menées des Etats-Unis en Amérique latine. Aveugle à l’impitoyable répression intérieure, la gauche européenne reste longtemps séduite par le mythe castriste.

La fin de la guerre froide et l’autodissolution de l’URSS en 1991 portent un coup de plus à l’économie de l’île. L’embargo américain n’a en rien assoupli le régime. Au contraire. Alors que le Lider, vieillissant, plus secret et mystérieux que jamais, s’est retiré au profit de son frère Raul, en 2008, le président américain Barack Obama va ouvrir la porte à la normalisation entre les deux pays. Le mouvement est en cours, Donald Trump devrait le poursuivre.

Que restera-t-il de l’héritage de « Fidel » ? Une révolution qui a, cruellement, mangé ses enfants, sans sortir le peuple de la misère ? Un homme qui a incarné la résistance à l’impérialisme américain dans la région ? L’image d’un dictateur cynique vivant dans le luxe avec une nomenklatura de privilégiés sous la protection d’une impitoyable police secrète ? Un homme qui aura été l’un des pions de l’URSS, en Afrique notamment, dans la guerre froide ? L’histoire retiendra tout cela à la fois, sans tomber dans les pièges du lyrisme et de l’exotisme.