Pochette de l’album « A Bicyclette ». | Philips

Il est impossible de rencontrer le célèbre parolier Pierre Barouh, 82 ans, et de ne pas lui demander comment il a écrit La Bicyclette (1968), immortalisée par Yves Montand. Le fondateur du label Saravah ne se fait pas prier et l’interview sur les 50 ans du label bifurque vers le récit de la fabrication de LA chanson. Des garçons qui partent en balade à vélo sur les petits chemins, avec Paulette, dont ils sont tous amoureux...

Né en banlieue parisienne, à Levallois-Perret, Pierre Barouh explique qu’il n’aurait jamais imaginé cette histoire s’il n’avait pas passé une partie de son enfance dans la Vendée profonde. En effet, en 1940, au début de la Seconde Guerre mondiale, Pierre, son frère et sa sœur étaient partis se mettre à l’abri à la campagne, à l’initiative de leurs parents. « Entre 6 et 11 ans, on est imprégné de parfums qui vous suivent toute la vie », dit-il. Et ces parfums sont revenus pour faire revivre des instants dans les fougères, des silhouettes allongées par le soleil...

Poker et pétanque

Tout a commencé un soir de printemps, dans le Paris des années 1960, dans un club de la rue Saint-Benoît, à Saint-Germain-des-Prés : « Je voyais presque tous les soirs un mec qui travaillait dans une agence de publicité. Il m’a proposé d’écrire un texte pour une pub sur le vélo. J’ai refusé, j’ai dit, pas question ! ». Mais le petit vélo a commencé à tourner dans sa tête : « Ce copain m’avait mis le poison... Et en marchant dans les rues pour rejoindre Montmartre et mon ami Francis Lai, accordéoniste, j’ai commencé à penser aux paroles d’une chanson sur la bicyclette. J’ai confié le texte à Francis, il a composé la musique, et puis le temps a passé », raconte-t-il.

Pierre Barouh était aussi acteur et il tenait un rôle dans Un homme et une femme (1966) de Claude Lelouch – le mari cascadeur disparu, auquel Anouk Aimée ne cesse de penser au début du film. Dans la vraie vie, à cette époque, Pierre Barouh s’était marié avec Anouk Aimée et les voilà sur la Croisette, en mai 1966, lorsque le film obtient la Palme d’Or. « Cannes faisait trop de bruit pour Anouk et moi, alors on a décidé de partir à Saint-Paul-de-Vence à La Colombe d’Or, le repaire de Montand », poursuit Pierre Barouh.

Yves Montand était là, et le parolier se réjouissait de passer du temps avec le grand acteur, et chanteur. « On ne parlait jamais chanson, on ne faisait que jouer au poker et à la pétanque. Et puis un jour, on était à table, et j’adore chanter au dessert. Je me suis mis à fredonner La Bicyclette. Yves Montand me dit « j’adore » mais il avait un problème avec le dernier couplet.» Dans cette première version, Pierre Barouh avait imaginé une autre fin : l’amoureux de Paulette revenait trente ans plus tard sur les lieux de ses virées magiques à bicylette, avec femme et enfant… « Montand me dit: pour moi ce serait mieux si c’était comme un petit film qui commence le matin et qui se termine le soir. » Pierre Barouh a donc modifié les derniers mots. A la fin de l’après-midi, le garçon se désolait de n’avoir pas pris la main de sa bien-aimée et espérait qu’il en aurait le courage le lendemain – « On se disait, c’est pour demain/J’oserai, j’oserai demain »

Une petite inexactitude

On se serait déjà contenté de ce beau récit, mais Pierre Barouh nous fait signe ce n’est pas fini. Le jour de l’enregistrement, Yves Montand a fait une « infime erreur » d’interprétation, nous dit-il. Une petite inexactitude qui ne sera pas corrigée dans l’album initial – du même nom, La Bicyclette, sorti chez Philips en 1968. Avant le dernier couplet, c’est la fin de la journée, les copains sont heureux de leur balade, mais tristes de ne pas avoir un moment d’intimité avec Paulette – « On revenait fourbus contents/Le coeur un peu vague pourtant/De ne pas être seul un instant/Avec Paulette. » « Au lieu de dire, de ne pas être seul un instant avec Paulette, Yves Montand a dit : de ne pas être un seul instant avec Paulette. Et là vous voyez bien que l’image se rétrécit ! », s’exclame le parolier, dans la cuisine de sa maison parisienne. Il reprend : « J’ai appelé Montand pour lui dire. Il m’a dit oh merde, putain ! Mais c’était trop tard. Avec du recul, j’adore cette anecdote qui donne tout le relief d’un mot », sourit Pierre Barouh.

Le plus drôle, dans cette histoire, c’est qu’un autre chanteur a fait la même erreur. C’était il y a quelques semaines, lors de la première répétition en vue de la célébration des 50 ans de Saravah. Bastien Lallemant s’était porté candidat pour interpréter La Bicyclette. Et quand il a inversé les mots, Pierre Barouh a de nouveau bondi...