Bureau de vote pour le second tour des primaires de la droite, le 27 novembre à Angoulême. | YOHAN BONNET/HANS LUCAS POUR "LE MONDE"

Il règne une drôle d’ambiance dans les bureaux de vote d’Angoulême. Dans la préfecture de la Charente, les partisans d’Alain Juppé auraient pu rester sereins au regard des scores que le maire de Bordeaux a atteints lors du premier tour de la primaire de la droite, le 20 novembre. Avec une moyenne de 43 % et des pointes à 50 % dans certains bureaux, la ville semblait pouvoir offrir un second tour de consolation à M. Juppé, comme l’ensemble de ce grand sud ouest. Pourtant, la tendance ressentie tout au long de la journée semblait donner une poussée filloniste. Même sur ces terres tempérées.

Premier signe, la participation en hausse dès les premières heures d’ouverture des bureaux. Avec une vague de nouveaux élécteurs non repérés au premier tour, remarquait un élu. Le second indice est venu des piles de bulletins Fillon dans les deux bureaux de vote du centre ville : leur volume a baissé très nettement. Les élus et les assesseurs étaient pourtant bien en peine de donner une tendance. Les personnes interrogées après avoir glissé un bulletin dans l’urne semblaient dessiner une carte électorale bien mouvante.

Il y a d’abord les disciplinés qui ont suivi les consignes de Nicolas Sarkozy. Patrice Gatorbe, concessionnaire d’automobiles à la retraite explique que son report est « logique  » : « Sarkozy a donné sa voix à Filllon. Et puis ça correspond à ce que je souhaite », souligne-t-il. C’est aussi une évidence pour Alain et Jo, lui médecin, elle osthéopathe, tous deux à la retraite : « on avait voté Sarkozy sans conviction. Là on est content de voter Fillon : l’expérience ne fait pas tout, il faut de l’énergie », argumente-t-il. « A 71 ans, on ne voit pas le monde de la même façon », renchérit sa femme.

« Fillon est plus dans le mouv’ »

L’âge de l’ancien premier ministre de Jacques Chirac revient souvent pour expliquer l’inclinaison en faveur de son adversaire. « Il est trop vieux ! Fillon est plus en cohérence avec le monde d’aujourd’hui », lance Marie, jeune assistante commerciale. Certains ont changé de cheval entre les deux tours comme Geneviève, retraitée du ministère des finances : son vote pro-Juppé ayant eu l’effet escompté - éliminer Nicolas Sarkozy -, elle dit préférer le programme du député de Paris. Pascal Garcian, jeune père venu en famille, a changé d’avis aussi : « J’ai voté pour Fillon pour qu’il ait un maximum de soutiens en vue de la présidentielle. »

Et puis, il y a tous ceux qui n’avaient pas voté au premier tour et qui se sont mobilisés pour un « changement radical ». « J’ai regardé le débat et, franchement, à entendre Juppé critiquer Fillon sur les fonctionnaires, je me suis dit : “c’est pas possible !” Fillon est plus dans le mouv’ », assure cette retraitée. Paulette, petite dame frêle, était malade au premier tour. Elle s’est un peu forcée pour venir voter François Fillon : « Il est plus sur les fondamentaux qui me sont chers », explique cette commerçante à la retraite. « Vous savez, j’ai fait toute ma scolarité dans des écoles religieuses. Alors pour moi, l’identité française et la famille, c’est important », ajoute-t-elle.

L’inquiétude en fin de journée était palpable chez les soutiens d’Alain Juppé. Monique est venue avec deux copines et sa mère pour « peser » : « Fillon, c’est trop radical », explique cette fonctionnaire à la retraite. « C’est tendu », reconnaît Amélie Couture, qui a convaincu sa mère de venir voter pour le maire de Bordeaux. La jeune femme est assez dépitée devant le nombre de retraités qui se sont déplacés. Xavier Bonnefont, maire LR de la ville, se fait philosophe :  « Peut être qu’il y a une envie d’accompagner le mouvement national ? » Nadia Meddad, elle, croit connaître la raison de ce mouvement de bascule. Cette militante LR, sarkozyste de cœur, a voté Juppé parce que « la politique à la Thatcher, c’est pas [son] truc ». Elle a senti la poussée pro-Fillon dans la droite locale : « c’est un vote sanction contre le maire. Les électeurs de droite lui en veulent car il n’a rien fait. »