Le président gambien Yahya Jammeh, candidat à un cinquième mandat le 1er décembre, salue ses partisans. Ici à Bikama, le 24 novembre. | MARCO LONGARI / AFP

« Yahya ! Yahya, par la force ! » Sous les hourras de milliers de ses militants, le président-candidat Yahya Jammeh est arrivé en soulevant foules et poussière dans l’école primaire de Bakau, en banlieue de la capitale Banjul. Debout à travers le toit de son Hummer limousine blindé noir, il était en boubou immaculé dans un océan de militants verts, la couleur du parti présidentiel, l’APRC. Pendant un meeting fleuve de plus de cinq heures, lundi 28 novembre, le fantasque président de Gambie a asséné l’une de ses dernières démonstrations de force avant l’élection présidentielle du 1er décembre.

Des heures avant le début du meeting, le sourire était déjà sur toutes les lèvres, et le visage du président sur tous les vêtements. « J’ai le même T-shirt depuis 1994, avance Dullo Jallow, 73 ans, qui arbore fièrement le portrait du président sur sa poitrine. Je viens à tous ses meetings depuis qu’il a renversé Jawara, je dois rendre à Jammeh tout ce qu’il a fait pour nous depuis qu’il est là. »

« Jammeh a construit des écoles, Jammeh a construit des routes, Jammeh a construit des universités », embraye Ali, 87 ans, qui est arrivé avec les vieux sages de son village tôt ce matin pour être sûr de ne rien manquer du président. De fait, il est au premier rang, il verra Jammeh de près et n’a pas besoin de se pencher pour attraper les T-shirts distribués. C’est un haut fonctionnaire de la Commission Electorale Indépendante (IEC), chargée d’organiser le scrutin de jeudi, qui s’occupe de la distribution, casquette du parti vissée sur la tête.

Ali, 87 ans, avec les vieux sages de son village, au dernier meeting de campagne du président gambien Yahya Jammeh, le 28 novembre 2016. | Amaury Hauchard

« J’ai regardé votre primaire en France, ça semblait austère ». Un militant, après la prestation magique des féticheurs du président.

Quand il s’agit du président Jammeh, tout l’appareil étatique met la main à la pâte. Un soldat offre des écharpes vertes, alors qu’un homme désigné par plusieurs comme agent des services de renseignement donne des affiches à l’effigie du président. Entre les griots du président aux bruits incessants de canabasses et les féticheurs qui, forts de gri-gri mystiques, s’entaillent au poignard la langue et le torse sans que la lame ne fasse couler le sang, l’ambiance est à la fête. « J’ai regardé votre primaire en France à la télévision, ça semblait austère comparé à chez nous », s’amuse un militant, qui repart en criant le prénom du président.

C’est lui que tous sont venus voir, lui que tous rêvent de toucher. « Bon, c’est raté pour aujourd’hui, il ne s’est pas arrêté pour me serrer la main, mais je l’ai vu à moins de deux mètres, je suis heureuse », lâche une militante.

Les soldats distribuent des sacs de riz

« 22 ans, nous en voulons plus ! » ou encore « Jammeh forever », tous les slogans rejoignent son point de vue, alors que le président Jammeh brigue jeudi 1er décembre son cinquième mandat consécutif. Un certain Dullo ne voit pas de problème à ce que Jammeh continue son règne : « Notre pays a besoin de stabilité, on est beaucoup à vouloir qu’il reste au pouvoir, et pas seulement à cette élection, mais la prochaine aussi ! »

Lorsque les cadres de la société civile locale suivis de ministres défilent au micro, les compliments ne tarissent pas. Jammeh, assis dans un large canapé – vert, lui aussi – observe sans grande attention, alors que sa ministre de l’éducation, la soixantaine, s’est mise à genoux pour lui souffler un mot. Devant eux, toute l’assistance a les bras levés, pour recevoir de petits sacs de riz distribués par des soldats.

Un surplus de dithyrambe parviendra quelques minutes plus tard à sortir Yahya Jammeh de sa distraction et lui arracher un sourire. Le représentant de la diaspora gambienne lance comme un défi à la foule de pouvoir déclamer un adjectif qualifiant le président pour chaque lettre de l’alphabet. Sous les encouragements, la litanie commence : visionnaire, futuriste, démocrate, tout y passe, avant qu’un autre orateur ne s’en prenne au candidat de l’opposition, Adama Barrow, copieusement hué, qui fait meeting au même moment dans un autre endroit de la capitale.

Jammeh s’en prend aux « menteurs » et aux réseaux sociaux

La nuit tombe à Bakau, les projecteurs s’allument. La garde présidentielle rode entre les spectateurs qui s’assoient peu à peu pour écouter « le roi », comme on l’appelle ici. Cette troupe d’élite a déjoué plusieurs tentatives de coups d’Etat qui ont, au fil des années, rendu le pouvoir paranoïaque. Ces derniers temps, plusieurs sympathisants de l’opposition ont subi des disparitions forcées et des personnalités du régime ont été arrêtées en raison de désaccord avec le président, comme le vice-ministre des affaires étrangères, détenu au secret depuis le 2 septembre. Lors de la dernière présidentielle en 2011, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait refusé d’envoyer des observateurs en raison « d’intimidations, de contrôle inacceptable des médias électroniques par le parti au pouvoir, d’absence de neutralité des institutions publiques ».

Enfin, Jammeh prend la parole. Il est 21 heures. « Ceux qui mentent n’ont qu’à continuer à mentir, mais nous verrons bien en février, à la fête de l’indépendance, combien seront-ils à y assister », lance-t-il à l’adresse de l’opposition. Que veut-il dire, qu’ils seront alors en prison ? En exil ? Après un silence, il poursuit sa menace : « On verra même si certains parmi eux assisteront au vote de ce jeudi ».

Avant de repartir dans la nuit gambienne vers un autre meeting, Jammeh s’en est aussi pris aux réseaux sociaux : « Sur Facebook, les femmes montrent leur corps et trouvent leur mari. Ce n’est pas bien et nous allons couper Facebook car chacune doit avoir le mari que Dieu leur a choisi. » Mais Yahya Jammeh l’a peut-être oublié : cela fait plusieurs mois que WhatsApp et Facebook ne sont plus accessibles en Gambie.