Il a fallu tout déchirer et recommencer de zéro. Pour la nouvelle production Disney, les réalisateurs Ron Clements et John Musker avaient un titre en tête, Vaiana, la légende du bout du monde, et une ébauche de scénario très avancée avant de partir en Océanie, aux Fidji, aux Samoa, à Tahiti, Moorea et Tetiaroa. À leur retour, ils ont jeté tout ce travail préparatoire à la poubelle. Le tandem, auteur de La Petite Sirène (1989), Aladdin (1992), Hercule (1997) et La Princesse et la grenouille (2009), a l’habitude de travailler pour rien. À chaque nouveau film, il leur faut prendre en compte une règle élémentaire de l’animation : une histoire n’est rien sans le paysage qui l’entoure, et c’est ce même paysage qui détermine l’histoire. « Cela peut sembler étrange mais, dans l’animation, la forme détermine le fond et non l’inverse. Vous pouvez écrire le plus beau scénario au monde, il ne vaudra rien tant que vous n’avez pas accompli vos repérages », précise Ron Clements.

L’île de Motu Nui dessinée par Ian Gooding. | Disney 2016

En Océanie, ce serait, espéraient-ils avant de partir, un petit peu différent. Ils pensaient que la contemplation des peintures de Paul Gauguin à Tahiti guiderait leur démarche, et nourrirait l’ambition du film : une histoire de princesse se déroulant dans le Pacifique il y a trois mille ans, un conflit entre la jeune fille et son père, tous les ingrédients nécessaires à un produit Disney.

Loin des peintures de Gauguin

Mais, une fois sur place, ils ont vite compris que les peintures de Gauguin s’inscrivaient dans un autre imaginaire, trop personnel pour qu’ils puissent s’en inspirer. Aux yeux des deux animateurs, les images du Français restaient la simple expression de la crise de l’artiste, pas compatibles avec la mission de concevoir un film destiné aux enfants. « Dans ses peintures, estime John Musker, on distingue les yeux vides des indigènes, une forme d’amour triste dont il donne une traduction. Nous nous sommes aussi rendu compte que la sensibilité européenne de Gauguin ne correspondait pas à la nôtre. Même les couleurs de ses peintures ne ressemblaient pas à ce que nous avions sous les yeux. Par bien des aspects, ses dessins sont morbides. Ils traduisent un état d’esprit qui ne peut être celui d’un film d’animation Disney. »

Vaiana, la petite Maori, et sa grand-mère, Tala. | Disney 2016

Arrivés dans le Pacifique, les deux hommes ont été frappés par l’absence de peintres ou de dessinateurs locaux. En revanche, il y avait beaucoup de sculpteurs. John Musker : « Cela suggérait un univers où il existait des formes et des volumes. J’avais été frappé par une immense montagne à Moorea, où on a l’impression de voir une femme poser délicatement sa tête sur son épaule. C’est une image que nous avons reprise dans Vaiana pour un effet particulièrement dramatique. Tout le film converge, à sa manière, vers cette image. » Un autre exemple de cette porosité entre le lieu et le récit : « Nous vivons en Californie, où les vagues sont souvent très violentes. La plupart des îles d’Océanie sont encerclées par d’immenses récifs coralliens qui repoussent les vagues très loin et protègent les rivages, comme une frontière invisible. Cela a induit une histoire toute différente pour le film. Celle d’une jeune fille décidant de traverser l’océan et de franchir, contre l’avis de son père, une barrière de corail. La forme, c’est-à-dire la géographie du lieu, a déterminé notre récit. »

De l’importance des repérages

Aux yeux du duo, le paysage utilisé de manière idéale est celui du Londres rétro d’un autre classique Disney, Les 101 Dalmatiens. La ville y est si bien stylisée, rappelant la capitale anglaise sans pour autant la copier, qu’elle en devient imaginaire. Ian Gooding, le chef décorateur de Vaiana, avait un autre modèle en tête, Mon voisin Totoro, de Hayao Miyazaki. « Je ne vois pas d’alliage plus parfait entre l’histoire d’un film et un paysage. Alors que ces images de la campagne pourraient rester en arrière-plan, elles conditionnent la psychologie de l’héroïne et la conduite de l’histoire. C’est un film parfait tant l’inscription des individus dans la nature est idéale. »

« Il faut viser la caricature. Or caricaturer n’est pas déformer, c’est mettre en valeur certains traits, exagérer pour parvenir à faire ressortir une vérité. » John Musker, réalisateur

À chaque retour de voyage, Ron Clements note ses impressions sur un carnet. De son côté, John Musker se contente de croquis. Quant aux très nombreuses photos prises pendant le séjour, elles se révèlent curieusement inutiles.

Les expressions de Vaiana sont dessinées au crayon avant de s’animer. | Disney 2016

« Dans l’animation, assure John Musker, les repérages sont essentiels, mais votre travail ne donnera jamais lieu à un reportage pour National Geographic. Apprendre à connaître un lieu, c’est aussi se discipliner pour l’oublier dans la foulée. Il faut viser la caricature. Or caricaturer n’est pas déformer, c’est mettre en valeur certains traits, exagérer pour parvenir à faire ressortir une vérité. Chez nous, il s’agissait de la forme d’une montagne, de volumes exagérés, de la couleur de l’eau, beaucoup plus claire que ce à quoi nous nous attendions. »

Maui, le demi-dieu, l’un des héros du film d’animation « Vaiana, la légende du bout du monde ». | Disney 2016

Pour Vaiana, Ian Gooding a lui aussi fait des repérages et également pris des photos. Mais, systématiquement, les images sont écartées au moment de l’animation à proprement parler. Comme s’il fallait trouver un modèle pour mieux l’effacer. « Il faut d’abord interroger notre comportement de voyageur. Nous préférons voir des paysages en vrai plutôt que de les regarder en photo. C’est une première chose. Mais, une fois sur place, nous prenons quand même des photos car nous tenons à emporter un souvenir. Dans l’animation, c’est différent, il faut savoir s’écarter de la photo pour en conserver une image mentale, une impression. C’est cette dernière qu’il s’agit de restituer. »

La fabrique à imaginaire

Mais comment dessiner un décor qui ressemble à quelque chose d’aussi immatériel qu’une impression ? En dessinant selon ses émotions. Ian Gooding : « À Moorea, les montagnes sont grandes, mais pas non plus très élevées. Dans le film, elles ont une taille plus importante. Ce n’est pas une faute de goût, une absence de réalisme ou une volonté de rendre un paysage plus exotique. C’est juste qu’en animation vous dessinez le souvenir d’un paysage, jamais le paysage à proprement dit. » Tout cela pour que ces paysages marquent le jeune public, et démontrent, encore une fois, la capacité du géant californien Disney à fabriquer de l’imaginaire, et à arpenter sans cesse de nouveaux territoires.

« Vaiana, la légende du bout du monde » (1 h 43). De John Musker et Ron Clements. En salle le 30 novembre.

Bande-annonce de « Vaiana, la légende au bout du monde »

Vaiana, la légende du bout du monde - Bande-annonce officielle
Durée : 02:27