Lise Damelet, avocate chez Orrick, Herrington & Sutcliffe est la cofondatrice de l’Incubateur du barreau de Paris.

D’où est venue l’idée de l’Incubateur ?

L’Incubateur a été officiellement créé en 2014, mais ce projet a mûri depuis fin 2012. À cette époque déjà, aux Etats-Unis, étaient apparues plusieurs « legal start -up ». De jeunes entrepreneurs, pas nécessairement diplômés en droit, se positionnaient sur le marché des services juridiques en étant associés, ou pas, à des avocats. Nous nous sommes dit que cette tendance allait arriver très rapidement sur le marché français et qu’il fallait réagir.

Que propose concrètement cette structure ?

Nous soutenons une dizaine de projets innovants qu’ils proviennent d’avocats ou de fondateurs de « legal start -up » sans, pour l’instant, que l’Ordre des avocats du barreau de Paris ne prenne de participation capitalistique. Cela viendra peut-être, mais ce n’est pas le cas pour l’instant. Nous permettons à ces projets de se mettre en conformité avec nos règles de déontologie. C’est aussi une manière de mettre en relation plusieurs mondes, les nouveaux entrants et les acteurs plus traditionnels.

Dans cette nouvelle offre juridique, qu’est-ce qui vous surprend le plus ?

L’intelligence artificielle est déjà utilisée par certains robots pour produire des consultations juridiques assez simplifiées, c’est un premier pas mais pour le moins très important. Des algorithmes permettent de créer des bases prédictives, pour prévoir, par exemple la récidive d’un criminel. En droit de la concurrence, il va être possible de prédire la sanction encourue par l’entreprise pour des pratiques anticoncurrentielles après analyse algorithmique de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle. Certaines « legal start -up » travaillent aussi sur des algorithmes pour créer des documents juridiques issus d’une machine préprogrammée générant des statuts types, des modèles d’accords, de confidentialité…

Comment ce bouleversement numérique est-il perçu dans votre profession ?

C’est une rupture sans précédent de notre métier d’avocat. Légalement, la profession d’avocat est réservée aux avocats. Le droit était un secteur assez sacré, peut-être même réservé à certaines élites. Aujourd’hui, nous voyons deux fondateurs d’une « legal start-up » avec une formation commerciale proposer une mise en relation d’avocats à laquelle les avocats eux-mêmes n’ont pas pensé. Notre métier est finalement un service, mais notre profession ne se pensait pas positionnée sur le « marché des services juridiques », qui était même plutôt un terme grossier. Nous avons traversé les siècles et les siècles en conservant notre pré carré, en conservant notre pouvoir de conseil, notre valeur ajoutée et aujourd’hui des acteurs viennent remettre tout cela en question. Ni la première révolution industrielle ni la seconde n’ont transformé le droit comme la révolution numérique est en train de le faire.

Comment, face aux machines, certains avocats vont-ils pouvoir justifier le prix de leurs services ?

J’ai tendance à penser que nous allons vers une bipolarisation du secteur économique des avocats avec des firmes qui seront positionnées sur la haute valeur ajoutée et à l’autre pôle des cabinets qui seront concurrencés par ces nouveaux acteurs proposant à très bas coûts des services juridiques.

Pour trouver sa place dans ce nouveau monde, que conseilleriez-vous aux étudiants en droit ?

Le droit est plus que jamais un secteur d’avenir. Le conseil que je donnerais aujourd’hui est de suivre une formation juridique, mais pas seulement. Le droit, ce n’est plus que du droit, c’est aussi une compréhension de l’environnement économique dans lequel on évolue. Il n’existe plus de voie prédestinée pour les juristes, un très bon juriste sera aussi un très bon économiste, peut être aussi un très bon technicien ou un très bon codeur.

L’université du Michigan donne la possibilité à ses universitaires et étudiants en droit de suivre des cours de code et des formations au lancement de start-up. Aujourd’hui, aucune université de droit ne le propose en France. Il existe certes des Mooc [Massive Open Online Course] qui révolutionnent la manière d’enseigner plutôt sur la forme, mais pour l’instant nous n’avons pas vraiment encore commencé à réfléchir sur le fond de ce qui doit changer dans ces formations.

Quelles pistes préconisez-vous pour accélérer ce changement ?

L’Incubateur du barreau de Paris a tout intérêt à créer des partenariats avec certaines universités pour présenter ces « legal start-up » et donner à voir ce qu’il est possible de faire quand on quitte l’université. Il serait intéressant aussi de se tourner vers d’autres incubateurs, portés par des écoles d’ingénieurs ou des écoles de commerce afin de travailler sur cette transversalité entre le droit et les autres matières.