Gravure d’une scène au magasin d’habillement de l’armée française, en 1899. | New York Public Library

Un retour à l’uniforme ? Le programme du Parti socialiste pour la présidentielle de 2017 prévoit le rétablissement du service militaire, quinze ans presque jour pour jour après que les derniers appelés ont quitté les casernes, le 30 novembre 2001.

Pour le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, qui présentait la feuille de route du parti mardi, « la France se trouve confrontée à un défi lourd et durable » et « les moyens disponibles pour assurer la protection optimale des citoyens s’avèrent notablement insuffisants, tandis que les armées peinent à dégager des effectifs pour participer aux missions de sécurité intérieure ». Par conséquent, il estime que « les conditions requises par la loi pour rétablir la conscription semblent pour la première fois depuis vingt ans réunies » et propose de créer « une véritable garde nationale ».

Ce retour du service militaire, dont les modalités pratiques n’ont pas été détaillées, soulève toutefois plusieurs questions.

1. Quelle est l’origine du service militaire en France ?

La conscription (recrutement de soldats selon leur année de naissance) est un héritage de la Révolution. Elle est instaurée en 1798, par la loi Jourdan-Delbrel. Les citoyens français doivent servir cinq ans sous les drapeaux… s’ils sont tirés au sort. Les plus fortunés se font alors remplacer.

En 1905, le service militaire ne dure plus que deux ans. Le tirage au sort est supprimé et les seules exemptions sont médicales. Durant la guerre d’Algérie, entre 1954 et 1962, 1,5 million de jeunes appelés sont mobilisés.

En 1971, on parle de « service national », qui peut prendre la forme d’une coopération, pour les objecteurs de conscience. Les femmes sont admises sur la base du volontariat. Sa durée est réduite à un an, puis à dix mois (vingt mois pour les coopérants).

2. Comment a-t-il été abandonné ?

Le 22 février 1996, dans un discours télévisé, le président Jacques Chirac annonce la « suspension » du service militaire, en expliquant que « la conscription ne répond plus aux exigences d’une armée moderne dans un grand pays moderne ».

« Aujourd’hui, le métier de militaire, qui est un superbe métier, s’arrange mal de l’improvisation et de la non-professionnalisation. (…) L’armée française, aujourd’hui, ne nous permet d’envoyer à l’extérieur que 10 000 à 12 000 hommes, et encore, généralement formés de bric et de broc, parce qu’on ne peut pas envoyer les appelés sur les théâtres d’opération extérieurs. Au terme de la réforme [réorganisant] l’armée, nous aurons la possibilité d’envoyer entre 50 000 et 60 000 hommes… »

La loi est votée le 28 octobre 1997. Les jeunes nés après 1979 ne sont plus appelés sous les drapeaux, mais les plus âgés doivent toutefois finir leur service. Les derniers sont libérés de leurs obligations militaires au 30 novembre 2001.

Désormais, 800 000 jeunes filles et garçons doivent participer une fois, entre 16 ans et 25 ans, à la journée défense et citoyenneté (anciennement « journée d’appel et de préparation à la défense »), qui présente le fonctionnement de l’armée, des bases de civisme et permet de réaliser des tests de lecture auprès de toute la population française.

3. Qu’est-ce qui remplace le service national ?

L’armée française est désormais essentiellement constituée de militaires professionnels, au nombre de 202 000 en 2015, auxquels s’ajoutent 100 000 gendarmes.

Mais les citoyens sont encore présents, par le biais de la réserve opérationnelle dans l’armée (28 000 volontaires) ou des gendarmes volontaires ou aspirants (12 000 personnes). Les réservistes, âgés d’au moins 17 ans, sont entraînés et s’engagent à se rendre disponibles au moins trente jours par an. Les volontaires de l’armée, la police et la gendarmerie sont regroupées depuis le 12 octobre 2016 au sein de la « garde nationale », avec l’objectif d’atteindre 72 000 réservistes en un an.

Par ailleurs, l’engagement citoyen au service de la nation a été renforcé ces dernières années par différents dispositifs :

  • le service civique, créé en 2010. Facultatif, mais « universel », donc accessible à tous depuis 2015, il est rémunéré 573 euros par mois ;
  • le service militaire volontaire, instauré en 2015, après les attentats de Paris, destiné à réinsérer les jeunes de 18 ans à 25 ans ;
  • le service militaire adapté, un dispositif spécifique à l’outre-mer, maintenu depuis 1961 ;
  • l’établissement public d’insertion de la défense (Epide), également destiné à réinsérer des jeunes éloignés de l’emploi.

4. Qui souhaite rétablir la conscription ?

La montée en puissance du service civique et la création de la garde nationale répondent au besoin, exprimé après les vagues d’attentats en France, de recréer une unité nationale et un sens de l’intérêt général. Les nostalgiques présentent aussi le service militaire comme un outil égalitaire, un moment où l’ensemble de la jeunesse se retrouve brassée au sein d’une même institution.

Selon un sondage réalisé par l’institut CSA pour Direct Matin, 74 % des Français souhaitent désormais rétablir la conscription. Le programme du Parti socialiste y ajoute un argument utilitariste : renforcer les effectifs de l’armée, qui est très sollicitée, à la fois en opérations extérieures et sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle.

Le rétablissement du service militaire est défendu par des personnalités politiques de tous bords.

A gauche, le « frondeur » Arnaud Montebourg a proposé, lors de son discours d’entrée en campagne, en août, de « rétablir un service national, civil et militaire, égalitaire et universel, pour tous les jeunes hommes et jeunes femmes » qui serait « obligatoire pour une durée de six mois » afin de soulager les militaires professionnels. Dès janvier 2015, Jean-Luc Mélenchon appelait à « réfléchir au retour à la conscription ».

A droite, la question a divisé les candidats à la primaire. Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Frédéric Poisson et Jean-François Copé étaient favorables au service national obligatoire pour tous. Une idée également soutenue par Xavier Bertrand. Nicolas Sarkozy réservait cette option aux décrocheurs scolaires. Alain Juppé ne ressentait pas « de volonté des jeunes d’un retour du service public ». François Fillon, qui représentera la droite en 2017, est encore plus critique : dans son programme, il estime qu’« il est impossible d’intégrer chaque année près de 800 000 jeunes sauf à casser une armée professionnalisée ».

Au Front national, le service militaire n’est pas évoqué dans le programme, qui se contente de proposer une « garde nationale de 50 000 réservistes hommes et femmes » (qui existe déjà). En revanche, Marine Le Pen a proposé à plusieurs reprises un service militaire obligatoire, avec des variantes sur la durée : un mois, puis trois et six mois.

5. Quels sont les obstacles ?

Comme le souligne François Fillon, l’armée actuelle, dont les effectifs ont été fortement revus à la baisse depuis 1996, n’est pas dans la capacité d’accueillir et d’encadrer des centaines de milliers de jeunes sans formation. Concrètement, de nombreuses casernes ont été fermées en vingt ans.

Financièrement, le retour de la conscription est une opération coûteuse. Qu’il soit civil ou militaire, un service national de six mois dédommagé au forfait actuel (un peu plus de 500 euros par mois) pour l’ensemble des jeunes d’une classe d’âge coûterait au moins 3 milliards d’euros par an, et jusqu’à 5 milliards d’euros si on y inclut le logement, selon l’estimation réalisée par un rapport rédigé en 2008 par Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale pendant le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (2002-2004). La fondation libérale Ifrap parvient à un résultat similaire.

Par ailleurs, si le service civique est plutôt bien perçu par les principaux intéressés, les 18-25 ans, l’idée de le rendre obligatoire pourrait entrer en concurrence avec leurs autres projets d’insertion, emploi ou formation. En janvier 2015, l’UNEF appelait ainsi à ne pas inculquer aux jeunes « une vision punitive de la République » avec des amendes en cas de refus de la conscription.