Jean-Luc Mélenchon en meeting au théâtre Fémina, à Bordeaux, mardi 29 novembre. | Ivan Mathie pour Le monde

C’est de Bordeaux que Jean-Luc Mélenchon a donné rendez-vous à François Fillon, mardi 29 novembre et pris date pour l’élection présidentielle. Dans la salle bondée du Théâtre Femina (1 100 places) avec beaucoup de jeunes et quelques centaines de personnes qui n’ont pas pu entrer, le leader de La France insoumise s’est adressé uniquement au nouveau champion que la droite s’est donné, à l’issue d’une primaire qui a vu l’inattendu François Fillon triompher de tous ses rivaux. C’est par conséquent en premier opposant à celui-ci et à son programme que M. Mélenchon s’est présenté : « Comprenez bien, ce sont deux visions du monde qui vont s’affronter. S’il débat avec moi, vous verrez bien si je n’arrive pas à lui faire peur », a-t-il expliqué, sous un fracas d’applaudissements.

Alors pourquoi Bordeaux ? Parce que Jean-Luc Mélenchon, pas plus qu’un autre, n’avait prévu que ce serait M. Fillon qui l’emporterait. D’où le choix de la ville d’Alain Juppé qui partait favori dans les sondages à la primaire de la droite. Cette décision lui a cependant permis de saluer un maire de Bordeaux qu’il trouvait à l’origine « mièvre » et « mou ». M. Mélenchon ne fait pas allusion à Alain Juppé qu’il a salué par « courtoisie républicaine » mais à Michel de Montaigne qu’avec le temps, il apprécie de plus en plus. « Nous sommes tous égaux par nos besoins et notre humaine condition », a-t-il rappelé, en citant l’auteur des Essais, mais aussi son fidèle compagnon Etienne de La Boétie, auteur Discours de la servitude volontaire.

Or, c’est bien contre cette servitude – promise à tous les Français, selon M. Mélenchon par le programme de M. Fillon, sauf aux puissants et à une petite oligarchie – sur laquelle le candidat de La France insoumise entend alerter. Discourant pendant près de deux heures, celui-ci a su capter son auditoire, en vrai showman, capable de séduire tant sur le fond que sur la forme. A l’américaine, toujours débout, marchant, sans note, mais allant parfois rechercher dans son discours le fil rouge de sa pensée.

« Coup d’Etat social »

Il s’est attelé à démonter pied à pied la méthode de son adversaire : la fameuse « Blitzkrieg » de M. Fillon, qui, à l’en croire, se traduira par la fin du code du travail, de la Sécurité sociale, des heures supplémentaires, et peu ou prou de tous les acquis de la gauche. Tour à tour ironique « ce n’est pas parce qu’il le dit en allemand que l’on ne comprend pas » ou sardonique « c’est un coup d’Etat social qu’il prépare », n’oubliant jamais de rappeler que, selon M. Fillon, la principale urgence est de « supprimer l’ISF [impôt de solidarité sur la fortune] qui paralyse tout ».

Car l’autre botte secrète de M. Mélenchon, c’est de montrer et démontrer qu’il a un programme, publié à partir du 1er décembre aux éditions du Seuil. Un programme détaillé qu’il entend égrainer au fil de ses meetings jusqu’au mois de mai. A Bordeaux, le député européen a mis l’accent sur l’écologie : « C’est parce que nous sommes écolos que nous sommes socialistes. » « Tout se tient », a-t-il expliqué. Il a défendu bec et ongles, « le principe de précaution » et a aussi défendu l’introduction « de la règle verte dans la Constitution ».

Sur l’énergie, « il faut passer à du 100 % renouvelable », a-t-il proclamé, expliquant toutefois que cela prendrait vingt-cinq ans pour sortir du nucléaire, car « nous ne savons pas réellement démonter les centrales ». De même, le candidat de la France insoumise a défendu l’agriculture bio et la lutte contre les OGM. « Il reste 900 000 paysans et 200 000 fermes, même si certaines sont plus des usines », or « un paysan tous les deux jours se suicide ». Dans ces conditions, il faut recourir à « la planification écologique », encouragée aussi par Nicolas Hulot et « payer les paysans ». En défendant l’écologie, on créera des emplois, « Ce sont 400 000 agriculteurs de plus dont la France a besoin », a-t-il ajouté.

« Les Russes sont des partenaires »

Refusant toute personnalisation de son combat : « Mon message, ce n’est pas ma personne », a-t-il répété à plusieurs reprises, admonestant même ses camarades « à ne pas crier son nom », à la fin du meeting, M. Mélenchon est reparti de plus belle à la charge contre M. Fillon, sur la politique étrangère et européenne. Rappelant que lui s’était trompé en votant pour le traité de Maastricht en 1992, alors que M. Fillon avait voté contre, comme « la CGT et le Parti communiste qui avaient raison », mais il a qualifié de « forfaiture », le traité de Lisbonne que M. Fillon a fait adopter après la victoire du non au référendum français sur la Constitution européenne.

De même, en dénonçant la réintégration de la France dans le comité militaire de l’OTAN et en qualifiant de faute la destruction de la Libye, M. Mélenchon a rappelé que ces décisions avaient été prises par Nicolas Sarkozy, mais alors que M. Fillon était son premier ministre et qu’à chaque fois, il a approuvé. Il n’y a que sur l’attitude à avoir face à la Russie, que le tribun de gauche ne s’est pas démarqué des positions du candidat de la droite. « Les Russes sont des partenaires, pas des ennemis », a-t-il martelé. « Conscient des risques de guerre généralisée », M. Mélenchon rappelle que « la violence appelle la violence ».

« Je ne suis pas juste la mauvaise tête de service, l’empêcheur de danser en Europe », a aussi rappelé celui qui se rêve en principal rassembleur de la gauche, pour la présidentielle de 2017. Le nom de Marine Le Pen n’a pas été prononcé une seule fois, celui de Manuel Valls, non plus, celui du chef de l’Etat, uniquement pour l’anecdote, seul François Fillon était en ligne de mire.