Le projet de rover ExoMars 2020. | AOES medialab M.Thiebaut / ESA-PRODUCTION AOES medialab

Deux jours pour répartir une dizaine de milliards d’euros. Jeudi 1er et vendredi 2 décembre, les vingt-deux ministres chargés de l’espace des pays membres de l’Agence spatiale européenne (ESA) se réunissent à Lucerne, en Suisse. Ils auront à se prononcer sur les 11 milliards d’euros de budget demandés par l’organisation, afin de financer ses différents projets, allant des lanceurs à l’observation de la Terre ou l’exploration, en passant par la gestion du trafic spatial, certaines missions s’étalant jusqu’en 2025.

Comme à l’accoutumée pour cette biennale, le trio des principaux contributeurs de l’ESA – la France, l’Allemagne et l’Italie – donnera le ton, chacun étant à la tête d’un programme phare : les Français pour la fusée Ariane 6, les Allemands pour la participation européenne à la Station spatiale internationale (ISS) et les Italiens pour ExoMars. Les négociations porteront sur le niveau de participations de chaque pays au financement des projets proposés par l’organisation. S’ouvrira alors une discussion de gros sous, chaque pays plaidant pour ses intérêts.

Rendez-vous d’étape

Il ne sera pas question du futur lanceur européen, décidé lors de la précédente conférence en 2014, le programme se déroulant conformément aux engagements pour un premier tir en 2020. En revanche, les négociations porteront sur la rallonge nécessaire à la seconde partie de la mission russo-européenne ExoMars. Décalée de 2018 à 2020, elle prévoit l’envoi d’un ­rover capable de forer le sol martien pour tenter de trouver des traces de vie. L’agence a besoin « d’un peu plus de 400 millions d’euros pour le projet, pour tous les travaux techniques nécessaires afin d’amener le véhicule jusqu’à la phase de lancement », indiquait le 25 novembre, David Parker, directeur des vols habités et de l’exploration robotique à l’ESA.

Ce coût s’ajoutera au milliard déjà investi dans la mission vers Mars. L’Italie devrait participer à hauteur de 37,61 % et la France de 15,9 %. Les discussions porteront sur la trajectoire de financement, sur les annuités qui seront versées, sachant que la montée en puissance pourra être progressive. Comme ce fut le cas pour le programme Ariane 6, des rendez-vous d’étape devraient être organisés pour suivre l’avancée du programme avec un premier point en 2017. Le montant final serait connu à ce moment-là.

Ce budget supplémentaire n’a rien à voir avec le crash du module européen Schiaparelli à la surface de la Planète rouge le 19 octobre, lors du premier volet de la mission. Nul doute cependant que cet accident sera dans tous les esprits. Des secousses plus importantes que prévu, comme des trous d’air, pourraient être à l’origine du dysfonctionnement des capteurs, et des erreurs de calculs. D’où l’idée avancée par certains de se tourner vers les Américains, les seuls jusqu’à présent à avoir réussi à se poser sans encombre sur le sol martien. Il s’agirait d’échanger des informations sur les perturbations atmosphériques martiennes, le projet restant européano-russe.

Poursuivre l’exploitation de la Station spatiale internationale

Plus près de la Terre, à 400 kilomètres de là, l’ESA maintiendra son engagement de poursuivre l’exploitation de la Station spatiale internationale jusqu’en 2024. Un investissement de 400 millions par an financé à 40 % par l’Allemagne. La part de la France est passée de 22 % à 28 %, Paris ayant accepté de relever sa participation lors de la précédente conférence de 2014. Ce fut l’un des gestes fait en direction de Berlin, en échange de son soutien au projet Ariane 6. Une pratique courante, chacun faisant un pas vers l’autre pour faire aboutir son programme. Mais la participation ne sera pas forcément financière, elle se fera sous forme de services fournis à la station. Toutefois, l’avenir de l’ISS est lié à la politique spatiale que voudra mener Donald Trump.

La poursuite des programmes scientifiques de l’ESA est également au menu des discussions. Il s’agit, dans les télécommunications, d’Artes (Advanced Research in Telecommunications Systems), pour lesquels 600 millions d’euros devraient être ajoutés et pour l’observation de la Terre d’EOEP (Earth Observation Envelope Programme), qui nécessite 1,6 milliard d’euros jusqu’en 2025. Les négociations s’annoncent plus délicates, car du niveau de financement accordé par un pays dépend le retour industriel qui lui sera attribué. Au nom de cette règle européenne du retour géographique, Thales Alenia Space et Airbus Defense and Space pressent Bercy d’augmenter la part française dans ces projets.

Face aux concurrents américains, qui bénéficient des budgets de défense pour leur recherche et développement, les Européens ont nettement moins de soutien public. D’où l’importance d’être bien représenté dans les programmes de l’ESA. Les Britanniques ont déjà annoncé leur intention de relever leur participation dans Artes ce qui profiterait à Airbus, présent au Royaume-Uni dans les satellites alors que Thales n’y est pas.

L’ensemble des enveloppes financières des différents programmes sera passé en revue. Avec plus ou moins de tensions. Hormis un coup de théâtre de dernière minute, la réunion ministérielle ne devrait pas réserver de grand suspens, comme ce fut le cas en 2014 pour obtenir le lancement d’Ariane 6. Cette fois, le ton est différent. « A la veille d’élections en Italie, en Allemagne et en France, et d’un changement de président aux Etats-Unis, on ne va pas commencer à se taper dessus », pronostique un participant. Nul doute que la quiétude des rives du lac de Lucerne y contribuera.