Dans un marché de Manille, en 2015. | JAY DIRECTO / AFP

L’étiquette bleue du Marine Stewardship Council (MSC) commence à être connue des consommateurs français, qu’elle incite à choisir un poisson pêché dans le respect du développement durable. Pour être sûr d’acheter un produit qui n’est pas directement menacé de disparaître sous l’effet de la surpêche, ce genre d’indication aisément repérable est loin d’être superflue, à condition de pouvoir s’y fier.

Le MSC, une ONG à but non lucratif, se targue d’imposer aux pêcheries qui veulent obtenir son label l’une des procédures de certification les plus exigeantes du monde. Environ 10 % des captures annuelles (9,5 millions de tonnes) dans le monde ont droit à son sceau. Mais un document interne du WWF – le Fonds mondial pour la nature –, que Le Monde a pu consulter, livre une analyse sévère des pratiques de cet organisme de certification.

Le WWF est partie prenante dans les procédures du MSC et peut à ce titre exprimer son avis, parmi d’autres ONG, des scientifiques et des professionnels du secteur, armateurs, conserveries… Or certains en son sein n’ont pas apprécié la façon dont le MSC a pu répondre aux thoniers opérant dans l’océan Indien, où la demande est forte de poissons estampillés d’un label de durabilité. Beaucoup d’intérêts sont en jeu dans cette partie du monde qui fournit 1 million de tonnes de thon tropical par an – soit le quart des prises mondiales, les trois autres quarts provenant essentiellement du Pacifique.

« De nombreuses irrégularités »

Les populations de ces gros migrateurs est dans un état inquiétant. L’albacore en particulier est officiellement surexploité à 94 %. Les thons tropicaux sont la proie de très nombreux pays, sans être protégés par des quotas ni par de véritables règles de capture. Il apparaît ainsi difficile de délivrer une attestation de bonne conduite à une pêcherie locale.

Néanmoins, malgré cette absence de rigueur et en dépit des campagnes d’ONG pour dénoncer la surpêche dans l’océan Indien, le MSC a accordé son label à la Maldives Pole & Line, une compagnie spécialisée dans la pêche à la ligne d’albacore (ou thon jaune) et de listao. C’est précisément ce que lui reproche une équipe du WWF conduite notamment par un expert de ce secteur dans l’océan Indien, Daniel Suddaby.

Le document interne daté du 10 novembre relate minutieusement les cinq années d’efforts déployés pour s’opposer à cette certification. Lancée en 2009, la procédure concernant la pêcherie des Maldives a souffert de « nombreuses irrégularités » selon le WWF. L’organisme de certification indépendant chargé d’étudier les pratiques et les niveaux de captures n’appliquait pas vraiment les critères du MSC, qui a eu tendance à revoir ses exigences à la baisse, accusent les auteurs. Ils en arrivent à se demander si leur organisation fait bien de miser sur le MSC pour améliorer la préservation de la faune marine.

Finalement, les pêcheurs des Maldives ont décroché leur label en 2014, avant que celui-ci soit suspendu en avril à la demande du WWF et d’autres ONG. Leurs objections ont aussi joué en défaveur d’Echebastar : les cinq thoniers de cette compagnie du Pays basque espagnol n’ont pas obtenu leur certification. D’autres pêcheries de thon candidates risquent, du coup, d’attendre longtemps leur titre de bonnes pratiques.

« Inciter les pêcheries à progresser »

Au Royaume-Uni davantage qu’en France, le label MSC est un sésame qui ouvre les rayons de nombreuses grandes surfaces. A Londres, le Times s’est saisi sans tarder de l’affaire, samedi 25 novembe, soulignant le potentiel conflit d’intérêts d’une ONG à but non lucratif dont les trois quarts des revenus proviennent des redevances liées à son logo. Le quotidien britannique souligne qu’en dix ans, le nombre de produits de la mer portant l’étiquette bleue est passé de 1 000 à 23 000.

« Notre théorie du changement repose sur le postulat suivant : plus le consommateur choisira des produits de la mer labellisés durables, plus les pêcheries seront encouragées pour atteindre les niveaux de durabilité exigés par le référentiel MSC, plus ces améliorations auront des impacts positifs sur la santé des océans », a rétorqué la direction générale du MSC à la suite de l’article du Times, en précisant qu’en tant qu’ONG il « ne fait aucun bénéfice ».

« Il arrive que nous délivrions une certification assortie d’une condition, cela incite les pêcheries à progresser, avance aussi le directeur de programme MSC en France, Edouard Le Bart. Car notre objectif est avant tout de faire évoluer les professionnels vers une pêche durable. » Il se déclare avant tout « surpris » par une attaque émanant d’une organisation qui est plus qu’un partenaire pour son organisation : le WWF a cofondé le MSC en 1997.

« Les critiques, nous les entendons »

Décidément sur le grill, le label de pêche durable a aussi essuyé en octobre une salve de reproches de la part de l’association Bloom qui exprimait publiquement son opposition à la certification de l’empereur – un poisson des grands fonds – en Nouvelle-Zélande. « Les critiques, nous les entendons, nous essayons de voir si nous devons les intégrer, cela fait partie de notre histoire », complète une porte -parole de MSC.

Un ancien directeur du MSC, Brendan May, a lui-même commenté le fameux rapport sur l’océan Indien. Cependant, du côté du WWF France, on cherche à arrondir les angles : ce « document de travail », qui n’était pas destiné à sortir du cercle, « emploie des tournures de phrases qui ne sont pas toujours opportunes », regrette Arnaud Gauffier, responsable production et alimentation durable. « Peut-être qu’il faudrait davantage d’ONG parmi les parties prenantes du MSC, analyse-t-il. Peut-être aussi que celui-ci a grandi un peu trop vite, mais il reste le meilleur label existant. De toute façon, il est surtout urgent de dire : mangez moins de thon ! »