Le roi du Rwenzururu, Charles Wesley Mumbere, arrêté dimanche à Kasese, a été inculpé, mardi soir 29 novembre, de « meurtre » par la cour de Jinja, dans l’est du pays, un crime passible de la peine de mort en Ouganda. Ce dossier, qui remonte à mars, a été ressorti par la justice ougandaise après les événements de ces derniers jours.

Depuis une semaine, des violences secouent la région de Kasese, le cœur du royaume du Rwenzururu, avec pour point culminant le week-end des 26 et 27 novembre, au cours duquel 62 personnes ont été tuées selon le bilan officiel de la police, alors que d’autres chiffres font état de plus d’une centaine de morts. De violents combats ont éclaté entre les forces de l’ordre et des militants séparatistes qui seraient liés au monarque lors de l’assaut donné par la police après un ultimatum lancé par Kampala. Le président Yoweri Museveni aurait appelé le roi Charles Wesley Mumbere pour lui ordonner de démanteler la garde royale soupçonnée de faire partie d’une milice liée à un mouvement prônant la création d’une « République de Yiira » sur la zone frontalière entre l’ouest de l’Ouganda et une partie du Nord-Kivu en République démocratique du Congo (RDC). « Nous avons pris le temps de parler au roi pour qu’il fasse sortir ces gens, mais il a refusé d’obéir, justifiait lundi le porte-parole de la police. La seule solution était de prendre d’assaut le palais et de le faire sortir pour sa propre sécurité. »

Un nouvel épisode de l’histoire tourmentée du royaume du Rwenzururu, pourtant récemment reconnu par le pouvoir central, et dont les velléités séparatistes remontent à plus d’un demi-siècle. Explications.

  • Quelle place pour les royaumes en Ouganda ?

Lors de la décolonisation, les royaumes qui composaient le protectorat britannique de l’Ouganda, ainsi que les territoires acholi du nord du pays, ont été réunis pour former une seule et même entité fédérale présidée par Mutesa II, le roi du Bouganda. Ces royaumes conservaient alors de grandes prérogatives au niveau fédéral.

Après avoir été supprimés sous les régimes de Milton Obote et d’Idi Amin Dada dans les années 1960 et 1970, ces royaumes ont été rétablis en tant qu’« institutions culturelles » sous la présidence de Museveni en 1993, mais avec des pouvoirs très limités. Cependant, leur influence est encore importante, et le pouvoir central a toujours dû composer avec les susceptibilités des différents royaumes.

Palais du roi du Rwenzururu, Charles Wesley Mumbere, arrêté par la police ougandaise le 27 novembre 2016 après de violents combats qui ont fait plus d’une centaine de victimes. | James Akena/REUTERS

  • Les racines du problème au Rwenzururu

Sous le protectorat, les populations Bakonzo, situées de part et d’autre de la frontière ougando-congolaise actuelle, avaient déjà demandé à l’administration coloniale de créer un royaume séparé de celui de Toro, dans lequel ils avaient été intégrés arbitrairement. Après le refus des autorités britanniques, et trois mois avant la déclaration de l’indépendance en octobre 1962, les Bakonzo décident de mener une guérilla séparatiste : le mouvement « Rwenzururu ». Son ambition est de créer un nouveau territoire indépendant avec, à sa tête, le roi des Bakonzo. La guérilla survivra jusqu’en 1982, sous Milton Obote (revenu aux affaires après la chute d’Idi Amin Dada), date à laquelle ils déposent les armes à la suite d’un accord politique. Mais les revendications séparatistes ont perduré et Yoweri Museveni reconnaîtra finalement le royaume en 2009 en tant que tel, afin de calmer les tensions entre Bakonzo et les autres ethnies de la région. Le roi des Bakonzo, Charles Wesley Mumbere, est ainsi intronisé le 19 octobre 2009. Ses prérogatives restent les mêmes que celles des autres rois d’Ouganda.

  • La situation à Kasese aujourd’hui

Après la décision de la cour de justice de Jinja d’inculper le roi Mumbere pour « meurtre », et de garder celui-ci en prison jusqu’au 13 décembre, date à laquelle son cas sera de nouveau étudié devant la même cour, le porte-parole du royaume a appelé la population à l’apaisement.

Selon la presse locale, le bilan pourrait cependant être plus lourd que celui annoncé par la police. Vingt-cinq nouveaux corps auraient été retrouvés hier dans le district de Kasese, rapporte ainsi le Daily Monitor, qui évalue à 126 le nombre total de victimes. La police, elle, continue d’avancer le bilan de 62 morts dont 16 membres des forces de l’ordre.

Dimanche, 139 personnes ont également été arrêtées. Mardi soir, la situation était calme, a assuré la police à Kasese, qui n’exclut pourtant pas la possibilité de nouveaux tirs pour empêcher des regroupements pouvant mener à de nouvelles violences. Des opérations sont toujours en cours dans le district de Kasese pour retrouver des éléments de la garde royale.

  • Une entité toujours séparatiste ?

Depuis 2009, les rumeurs persistantes de création et d’entraînement de milices royalistes, avec pour ambition la création de la « République d’Yiira » indépendante, n’ont eu de cesse d’irriter le pouvoir central. « Quiconque est impliqué dans ce rêve dangereux verra ses efforts réduits à néant », avait averti le président Museveni en mars. Une intervention effectuée alors que le parti présidentiel venait de perdre la majorité dans cette région lors des élections générales face au parti de Kizza Besigye. De violents affrontements avaient d’ailleurs déjà eu lieu lors de l’annonce de la contestation de certains résultats locaux, faisant plusieurs dizaines de morts.

Arsenal trouvé dans le palais du roi du Rwenzururu, Chalres Wesley Mumbere, le 27 novembre 2016. | James Akena/REUTERS

C’est sur un dossier datant de cette période que le roi a été officiellement inculpé ce mardi. Récemment, la proposition du gouvernement de diviser le district de Kasese pour tenter de régler ces différends politiques a encore aggravé les tensions. Le roi Mumbere a quant à lui toujours nié avoir le moindre rapport avec une quelconque milice séparatiste, et a fortiori d’en être à la tête. Mais la garde royale est toujours fortement soupçonnée par les forces armées d’entretenir des liens étroits avec elle.

  • Liens avec d’autres rébellions

Le Rwenzori, la région qui tient son nom de la chaîne de montagne qui forme une frontière naturelle avec la RDC voisine, et dans laquelle se trouve le royaume du Rwenzururu, a toujours été une terre de rébellion. C’est là que les Forces démocratiques alliées (ADF) ont porté le plus clair de leurs attaques dans les années 1990 contre l’armée ougandaise.

Officiellement, il n’y a pas de lien établi entre cette rébellion qui continue de sévir de l’autre côté de la frontière et les séparatistes du Rwenzururu. Mais, dans un long communiqué transmis ce matin par le gouvernement, il est clairement établi que des éléments de l’ancienne rébellion du mouvement Rwenzururu ont suivi un autre groupe armé de la région, celui du Front national ougandais, les NALU, futurs alliés des ADF.