Jean-Frederic Poisson (LR), à l’Assemblée nationale le 1er décembre. | JACQUES DEMARTHON / AFP

Liberté d’expression contre liberté à disposer de son droit d’avorter. Opposition et majorité ont ferraillé, jeudi 1er décembre, à propos de l’extension aux sites Internet du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Après près de six heures de débats, l’Assemblée nationale a voté la proposition de la loi, soutenue par la gauche et une partie des centristes, tandis que la droite et l’extrême droite s’y sont opposées.

Le ton est souvent monté, en particulier quand ont été rappelés les propos du vainqueur de la primaire de droite François Fillon, qui est hostile « à titre personnel » à l’IVG, tout en affirmant qu’il s’agit d’un droit auquel il ne toucherait pas.

Le texte punit de 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende le « militantisme anti-IVG 2.0 », selon l’expression de sa rapporteure (PS) Catherine Coutelle. « La bataille de l’information devient centrale, a-t-elle estimé. Ces sites avancent masqués. » Sont visées plusieurs plates-formes (IVG.net, avortement.net, Ecouteivg.org) qui, malgré une apparence officielle, véhiculent une information jugée dissuasive.

« Derrière, il y a des numéros verts, le vrai sujet est là, a affirmé la ministre des droits des femmes Laurence Rossignol. La vraie pression s’exerce quand ces femmes appellent. » La proposition de loi ne prévoit pas de fermer ces sites, mais ouvre la possibilité de poursuites judiciaires contre leurs responsables. « Il y aura des testings enregistrés et des poursuites », a prévenu la ministre.

La liberté d’expression est protégée

« Le texte flirte dangereusement avec la création d’un délit d’opinion », a fustigé Christian Kert (LR, Bouches-du-Rhône). « Vous avez décidé de réduire au silence ceux qui ne pensent pas comme vous, a renchéri l’ancien candidat à la primaire issu du Parti chrétien-démocrate, Jean-Frédéric Poisson. Il devient interdit d’évoquer les conséquences médicales et les éventuelles complications de l’IVG. »

Cette position a reçu le soutien de la Quadrature du Net. « La création d’un délit pour mise à disposition de contenus, fussent-ils douteux, écœurants ou opposés à la liberté de choix des personnes, porte indiscutablement atteinte à la liberté d’expression », estime l’organisation de défense des libertés sur Internet.

« La liberté d’expression ne peut se confondre avec la manipulation des esprits », a argumenté Mme Rossignol. Selon la ministre, le texte ne court pas le risque d’être censuré par le Conseil constitutionnel, car la liberté d’expression est protégée « dans le cadre défini par la loi », qui inclut le fait de « ne pas induire intentionnellement en erreur ».

« Culture totalitaire de mort »

Comme souvent lorsque des sujets de société sont débattus, seul le groupe de députés d’opposition défendant les positions les plus conservatrices était présent dans l’hémicycle pour contrer la majorité. La députée (LR) Aurore Bergé, favorable au texte, qui a testé le site IVG.net et affirmé qu’il lui avait délivré des informations alarmantes (risques importants pour la santé et le couple en cas d’IVG) n’était pas présente. François Fillon, en déplacement dans la Sarthe, non plus. Isabelle Le Callennec (LR, Ille-et-Vilaine), proche du député de Paris, a récusé toute volonté de remettre en cause le droit à l’IVG mais dénoncé sa « banalisation ».

L’opposition a également accusé le site du gouvernement de partialité en faveur de l’IVG et réclamé le développement « d’alternatives » à cet acte. Seul le député d’extrême droite Jacques Bompard (Ligue du Sud) a frontalement attaqué ce droit et longuement dénoncé la « culture totalitaire de mort » véhiculée selon lui par la gauche. Le texte sera examiné par le Sénat le 7 décembre.