François Hollande, président de la république, annonce qu'il renonce à être candidat à l'élection présidentielle de 2017. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

Deux fois durant son quinquennat, François Hollande aura publiquement cédé à l’émotion. Au soir des tueries djihadistes de Paris, le 13 novembre 2015, il était apparu à la télévision visiblement ébranlé par cette « horreur ». Jeudi 1er décembre, c’est avec la même voix, blanche et nouée, qu’il a annoncé aux Français sa décision de ne pas briguer un second mandat en 2017. C’est dire, chez cet homme pourtant blindé contre l’adversité, la violence du choix auquel il s’est résolu. Le chef de l’Etat le sait mieux que personne : la décision qu’il a prise est sans précédent sous la Ve République.

A l’exception de Georges Pompidou, décédé durant son mandat, tous ses prédécesseurs se sont représentés au terme de leur premier septennat ou quinquennat. Le général de Gaulle en 1965, Valéry Giscard d’Estaing en 1981, François Mitterrand en 1988, Jacques Chirac en 2002 et Nicolas Sarkozy en 2007. Deux ont été battus (Giscard et Sarkozy), les trois autres ont été réélus, mais tous ont eu la volonté légitime de poursuivre leur tâche. Personne ne doute que l’actuel président était dans le même état d’esprit. Il en a donné témoignage à maintes reprises depuis qu’il est à l’Elysée.

Lucide et digne, son renoncement est l’aveu d’un échec. Echec personnel, d’abord. Hormis dans des circonstances dramatiques – l’engagement de l’armée française au Mali en 2013, les attentats djihadistes de 2015 et 2016 –, et quelles que soient l’intelligence et la sincérité de l’homme, le président « normal » François Hollande n’est pas parvenu à incarner pleinement, aux yeux des Français, la gravité de la fonction.

Abîmes d’impopularité paralysants

Echec économique et social, ensuite. Défendant et assumant son bilan, jeudi soir, le chef de l’Etat a revendiqué des avancées et admis des « retards » ou « certaines erreurs ». On comprend qu’il ne se soit pas appesanti. Mais personne n’ignore que, si la trop fameuse courbe du chômage – sur laquelle il avait imprudemment indexé son avenir – a commencé à s’inverser depuis un an, le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de plus de 550 000 depuis mai 2012. Ce seul chiffre suffisait à le condamner.

Echec politique, enfin, qui résulte des précédents. Impuissant à convaincre de sa vision de la France et de la justesse de son action, il a rapidement basculé dans des abîmes d’impopularité paralysants. Pour les mêmes raisons, il n’a pas su empêcher son camp de se déchirer.

Depuis trois ans, une partie de sa majorité, révulsée par le tournant de la « politique de l’offre », contestait son autorité et récusait des choix qui ne figuraient pas dans son programme de candidat. Depuis plusieurs mois, son ancien collaborateur et ministre de l’économie Emmanuel Macron le défiait ouvertement, décidé à défendre en 2017, y compris contre lui, une autre façon d’inventer l’avenir. Ces derniers jours encore, le premier ministre, Manuel Valls, pointait sans ménagement le risque qu’une nouvelle candidature du président ne soit « bancale ou fragile », compte tenu de l’état d’esprit des Français, de la gauche et des socialistes.

Quoi qu’il lui en coûte, François Hollande est arrivé à la même conclusion, conscient « des risques que ferait courir une démarche, la [sienne], qui ne rassemblerait pas largement autour d’elle ». Le risque, en effet, était de faire perdre la gauche, de ne pas se qualifier pour le second tour de la présidentielle et de reproduire, en pire, le traumatisme du 21 avril 2002. Encore aurait-il fallu qu’il remportât la primaire socialiste prévue en janvier. Or, rien n’était moins assuré.

Un renoncement qui est un empêchement

L’éventualité d’une telle humiliation, infligée par sa propre famille politique, lui a manifestement été insupportable. Son renoncement est, de fait, un empêchement. En passant la main, au moins François Hollande peut-il espérer éviter « l’éclatement de la gauche » et faciliter le « sursaut collectif des progressistes » qu’il a appelé de ses vœux. La responsabilité en revient désormais à une nouvelle génération.

Le 27 novembre, les électeurs de droite ont mis un terme à la carrière nationale de l’ancien premier ministre Alain Juppé. Le 20 novembre, ils avaient écarté l’ancien président Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui, c’est le chef de l’Etat en exercice qui annonce son retrait, contraint et forcé.

Il y a vingt ans, dix ans et cinq ans, ces trois hommes avaient annoncé changement, réforme et redressement du pays. Chacun, à sa manière, paye le prix de ces promesses inabouties. C’est la cause première du fossé qui se creuse, toujours plus dangereusement, entre gouvernants et gouvernés. Espérons que les candidats de 2017 finiront par comprendre ce nouvel avertissement.