A moins d’un miracle, la directive sur les travailleurs détachés ne sera pas révisée d’ici à la fin de 2016. Aucune décision politique n’est attendue dans ce sens, au Conseil européen des ministres du travail et des affaires sociales du 8 décembre, le dernier de l’année. La réécriture de la loi européenne est pourtant réclamée par la France, l’Allemagne et la Belgique, au nom de la lutte contre le dumping social entre citoyens de l’Union européenne (UE).

Le texte actuellement en vigueur stipule qu’un travailleur, citoyen européen « détaché » dans un autre pays de l’UE, continue de « bénéficier », pendant un temps donné, des conditions de rémunération de son pays d’origine.

Juridiquement, les employés dépendent du contrat de travail signé avec l’entreprise qui les détache. La directive a été adoptée en 1996, avant l’élargissement de l’Union aux pays de l’Est et elle n’est plus du tout adaptée, assure-t-on à Paris ou à Berlin, alors que, ces dernières années, la concurrence à l’Ouest des bas salaires de l’Est est de plus en plus vive.

La France, second pays d’accueil

Selon une note récente du Trésor public, la France est, derrière l’Allemagne, le second pays d’accueil de travailleurs détachés, avec 229 000 salariés concernés en 2014. Et, en 2015, leur nombre a bondi de 25 %, selon des données transmises à la Commission nationale de lutte contre le travail illégal.

Consciente des préoccupations de Paris ou de Berlin, qui soulignent que ces dérives font le lit des populismes, la Commission de Bruxelles a proposé, en mars, une directive « améliorée ». Le fil rouge : une personne « détachée » doit être payée, a minima, comme les travailleurs de son lieu d’accueil.

Mais une dizaine de pays (Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Slovaquie…) refusent le changement, au nom du respect du principe de libre circulation dans l’UE. Au printemps, ils avaient émis, par le biais de leurs Parlements nationaux, un « carton jaune » pour contester la révision de la directive. La Commission est passée outre.

« C’est un processus long. Cela n’avance pas vite, mais cela avance »

Depuis, à en croire un document de travail du Conseil européen qui date de fin novembre, que Le Monde a consulté, les discussions patinent sérieusement. Les représentants des 28 pays membres s’opposent sur à peu près tous les points-clés de la révision : ce que doit ou non inclure la « rémunération » des travailleurs détachés, l’encadrement plus rigoureux des pratiques de sous-traitance, et la durée maximale du statut de « détachés » (la Commission propose que celle-ci ne soit que de deux ans et que, au-delà, les travailleurs étrangers signent des contrats locaux).

« La Slovaquie, qui assure la présidence tournante de l’Union jusqu’à fin décembre, devrait faire un point d’étape le 8 décembre, et encourager la présidence tournante suivante [Malte], à poursuivre le travail », indique un diplomate européen.

La pression du Parlement européen aidera-t-elle à faire avancer les discussions ? Les députés européens viennent de finaliser un rapport d’initiative, qui soutient, dans les grandes lignes, le projet de la Commission. Il n’a aucune valeur légale, mais il devrait faire vivre le débat lors de sa soumission au vote en plénière, courant 2017. « Nous devons éviter qu’on en arrive à un pourrissement, comme avec la directive sur le temps de travail, bloquée depuis 2008 », souligne la députée européenne LR Elisabeth Morin-Chartier, corapporteure du texte.

La France a intensifié ses contrôles antifraude

La France, elle, poursuit son travail de lobbying. « C’est un processus long. Cela n’avance pas vite, mais cela avance », commente-t-on dans l’entourage de Myriam El Khomri, la ministre de l’emploi et du dialogue social. Elle est allée à la rencontre des députés européens, à Strasbourg, les 21 et 22 novembre. Elle a aussi multiplié les échanges avec ses homologues de l’est de l’Europe, notamment les ministres du travail polonais et roumain. Les pays plus en retrait sur la question, comme l’Italie ou Malte, n’ont pas non plus été négligés. « L’idée est d’avoir un travail d’influence positive sur tous les acteurs afin de lutter contre la fraude au détachement », explique-t-on Rue de Grenelle.

La France insiste sur les conditions de rémunération. Si, sur le papier, les travailleurs détachés ont le même salaire que des locaux, dans les faits, leurs employeurs prélèvent souvent une somme pour le logement, le transport et la nourriture. Autre revendication hexagonale, la lutte contre le détachement « en cascade » (dans un pays puis dans un autre), qui rend difficile la traçabilité de l’employeur initial, celui qui doit les cotisations sociales.

En attendant la révision de la directive, la France a intensifié ses contrôles antifraude : 2016 a connu une moyenne de 1 500 contrôles par mois, contre 500 en 2015. « L’arsenal législatif a aussi été renforcé » avec les lois Savary, Macron et El Khomri, précise-t-on au ministère du travail. Des sanctions administratives peuvent désormais être exigées dès que la fraude est constatée. Depuis 2015, 840 sanctions ont été prononcées pour des amendes qui s’élèvent à 4,5 millions d’euros.